« Les désarrois de l’élève Obama au Proche-Orient » : c’est ainsi que le Monde a choisi de titrer son édito dans son numéro publié quelques heures avant la démission – alors jugée imminente – de Hosni Moubarak. Le texte est à l’avenant : les Etats-Unis sont impuissants, Obama n’a aucune influence sur Moubarak comme sur la rue égyptienne. Les Américains auraient-ils dû devancer les Égyptiens et pousser Moubarak dehors le soir même du 25 janvier, jour du premier rassemblement place Tahrir ? Envoyer les Marines après les premières élections truquées ? Eux à qui on a tant reproché, souvent à raison, de se mêler de tout, sont désormais montrés du doigt pour leur inaction.
L’ingérence, le mot d’ordre durant les années de la crise des Balkans tombé en disgrâce après la deuxième guerre du Golfe, semble donc revenir au goût du jour. L’enthousiasme pavlovien déclenché chaque fois le mot magique de Révolution est prononcé est-il la seule aune à laquelle il faut juger la politique étrangère d’une puissance mondiale ? Rappelons seulement au passage que la révolution nationale et socialiste en Egypte en 1952 et 1954 suivie par la nationalisation du canal du Suez avait été accueillie par certains avec le même lyrisme qui est aujourd’hui recyclé dans la dénonciation des dictatures nées de ces événements.
Reste l’accusation, formulée contre la France, les Etats-Unis et l’occident en général : vous n’avez rien vu venir. La réalité est que les Américains, sans connaître la date de l’explosion, l’ont anticipée depuis longtemps. Un exemple révélateur est fourni par les contacts noués avec le « mouvement du 6 avril », lancé au printemps 2008 par « la jeunesse Facebook » égyptienne pour soutenir un mouvement social des ouvriers de l’industrie textile dans le delta du Nil. L’ambassade américaine au Caire a repéré très rapidement ce nouvel acteur. Selon un télégramme qu’elle a envoyée en Egypte fin décembre 2008, les diplomates du State Department ont rapidement compris le potentiel de ce groupe de jeunes et leurs méthodes d’action. Huit mois après le lancement de leur page Facebook l’un de leurs leaders avait été invité en visite d’étude aux Etats-Unis aux frais du gouvernement !
Rappelons que ce mouvement a joué un rôle importent dans le déclenchement des événements en Egypte et que c’est aux Etats-Unis que les e-militants cairotes ont appris les méthodes permettant de contourner le blocage de Facebook, twitter et des réseaux de téléphonie mobile. Et le pire, c’est que tout cela se passait pendant l’ère honnie du président Bush !
Quant à l’attitude actuelle des Américains, que le Monde qualifie d’hésitante, il faut pourtant reconnaitre que le président Obama a pris très rapidement le parti de soutenir la contestation de la place Tahrir, le « loft » de la révolution égyptienne observée dans le monde entier comme un spectacle de reality show. Il savait, comme son prédécesseur, que Moubarak était assis sur une poudrière, pensait, comme lui, que le Raïs trainait les pieds et qu’il fallait aller plus vite vers la démocratisation de l’Egypte. Ses diplomates et sans doute une large proportion des 100.000 fonctionnaires et para-fonctionnaires US présents en Egypte étaient occupés sur le terrain à nouer des contacts et à aider les mouvements susceptibles de participer à une évolution pacifique du régime. Que pouvait-il faire de plus ? Qu’aurait-il dût faire de plus ? Envoyer ses marines déposer Moubarak ? On imagine les réactions indignées de ceux qui chipotent aujourd’hui sur la prétendue réserve américaine.
Contrairement à ce qu’on nous répète – peut-être pour se rassurer sur l’impuissance française dans la région, bien réelle – la politique américaine a sans doute été la plus adaptée à la situation. Le soutien officiel de Wahington aux forces démocratiques est un investissement à long terme. Les Américains n’en recueilleront pas les fruits tout de suite mais on citera encore ses premières déclarations dans des années – à moins, bien sûr, que le printemps arabe tourne à la glaciation : « Remember : nous étions à vos côtés quand vous étiez massés place Tahrir ! » Le président Obama a été à la hauteur de l’événement même s’il ne l’a pas organisé. Ce n’est pas si mal.
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