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Les gens qui s’y connaissent s’y connaissent


Les gens qui s’y connaissent s’y connaissent

Les gens bien ne s’y connaissent pas. C’est à cela qu’ils se reconnaissent.
Les gens qui s’y connaissent sont étrangers à toute espèce d’expérience. C’est la raison pour laquelle ils exhibent une inquiétante familiarité de vieux routier avec toute chose. Les gens qui ont fait le tour de la question passent leur temps à tourner autour des murailles de la citadelle en se glorifiant de n’y avoir jamais mis les pieds.[access capability= »lire_inedits »] S’ils mettaient leurs pieds dans des questions, ils sauraient qu’elles dépaysent et remuent la plante des pieds humains. S’ils avaient étudié à fond n’importe quelle question, ils sauraient bien qu’elle est rigoureusement insoluble, qu’elle les met cruellement en défaut et que personne n’a jamais dépassé la cime des poils inférieurs de la cheville d’aucune question.

« Tu veux que je te dise pourquoi ? » et l’incontournable « Tu vois ce que je veux dire ? » sont les deux mamelles du connaisseur. Ces deux questions constituent le hoquet du connaisseur. Pour tenir à distance un spécialiste multirécidiviste, il est certes aisé de répondre un « non » chaleureux et enjoué à la première et de répliquer à la seconde question par un fraternel : « Et toi, tu entends ce que je vois ? »

Les gens qui s’« y » connaissent s’« y » connaissent, certes, mais où ? Leur mystérieux « y », qu’ils trimballent partout avec eux sous le bras et posent négligemment sur le bar à leur arrivée, semble désigner un lieu inaccessible. Les gens qui s’y connaissent sont obligés d’employer des termes techniques, tu saisis ? Pire encore, ils en expliquent fréquemment le sens. Les gens qui s’y connaissent connaissent les connaisseurs. Dans chaque domaine, ils tiennent à nous informer généreusement de l’identité des vrais connaisseurs, qui ne sont pas du tout ceux qu’on croit.

« Tu m’as compris ? Tu vois ce que je veux dire ? Tu vois ? » Les questions du connaisseur sont des ordres. Les gens qui s’y connaissent sont supérieurs, certes. Dans leur pêche perpétuelle à la connivence, ils se ruent pourtant sur le vulgum avec une avidité désarmante et enfantine. Les gens qui s’y connaissent vouent au péquin ignorant une dévotion secrète.

La seule différence entre les gens qui s’y connaissent et les vrais spécialistes réside dans la capacité de ces derniers à dissimuler les traits les plus visiblement pathologiques de leur délire, comme le clignement d’œil appuyé par exemple. Cette dissimulation s’appelle le professionnalisme. Les plus grands spécialistes n’y connaissent absolument rien, tu vois ? Et cela pour une bonne raison : l’existence sur Terre vient de surgir, il y a trois secondes. Nous ne sommes pas prêts. Non, pas encore.[/access]

Janvier 2011 · N° 31

Article extrait du Magazine Causeur



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