D’aucuns considèrent qu’on leur « rebat les oreilles » avec le programme du Conseil national de la Résistance (CNR) ! C’est un point de vue, ou plutôt une forme masquée de jugement de valeur ; à la manière de ceux, souvent les mêmes, qui qualifient de gogolistes (ou gaugaullistes) les simples admirateurs de l’homme du 18 juin. Il s’agit, dans ce dernier exemple, de déconsidérer des individus, de les dévaloriser, de les exclure de la sphère de l’entendement, du cercle de la conversation, de les rejeter dans les ténèbres de l’idiotie ordinaire.
Il nous a paru utile, considérant les navrantes interventions dont nous voyons quelques-uns se délester ici et là, de rappeler à la mémoire collective que l’espoir né de la Libération, suscité par la Résistance, enraciné dans la vieille culture française depuis la bataille de Bouvines (27 juillet 1214), mêlé de chevalerie et de gouaille, cet espoir, donc, ne constituait nullement un idéal fumeux, temporairement réactivé, voué à un oubli rapide. Au contraire, l’esprit du CNR a fondé une énergie, où s’est alimenté l’élan constitutif de la société française, admirable sous beaucoup d’aspects.
Les hommes de la Résistance ont pris la mesure du désastre matériel et moral qui accablait ce malheureux pays, abandonné par quelques-unes de ses élites, égaré, pour une faible partie de son peuple, dans la collaboration, rompu majoritairement aux servitudes des vaincus. Considérant l’étendue et la profondeur du malaise français, ils ont voulu en interrompre les causes et en soigner les effets. Le succès de leur entreprise, dont nous sommes les bénéficiaires, n’est discutable que par les boutiquiers de l’esprit. Ce ne sont pas leurs sarcasmes, augmentés des ricanements hypercritiques de la majorité libérale-libertaire, présomptueuse et bedonnante, qui nous feront oublier que nous sommes les débiteurs des soldats de Philippe Auguste et des maquisards du plateau des Glières.
La France – la nôtre assurément – est ainsi faite, légère et gaie, cruelle et compliquée, qu’elle peut tout à la fois pleurer le suicide de Drieu-la-Rochelle, découvrir avec effarement la longue cohorte des fantômes revenus de la nuit et du brouillard, garder l’espoir et le goût de la liberté, applaudir au spectacle dégradant des femmes tondues, ainsi qu’à l’affreux défilé des prétendus « collabos » de quinze ans, chahuter sous les potences où se balançaient les corps mutilés et souillés des « coupables » absolus, exiger, aussi, les mesures sociales, nécessaires et légitimes, sur lesquelles repose encore notre bien commun, enfin, trouver un sauveur, puis oublier de Gaulle… L’essentiel est ailleurs : dans la longue mémoire, plus aérienne qu’enracinée, dont le CNR est l’exigeant dépositaire. Aujourd’hui que ce pays improbable cherche un air raréfié, s’essouffle et vacille, se prend pour l’ombre de lui-même et la proie des autres, il nous revient de raviver ses plus beaux souvenirs…
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