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L’extrême droite n’existe pas


L’extrême droite n’existe pas

Xénophobe assumé, Le Pen n’est pourtant pas d’extrême droite. Pas plus qu’un autre. Car l’extrême droite, c’est vous et lui. Autant dire personne. Comme le salaud, l’extrémiste, c’est toujours l’autre, un vague cousin couvert de l’opprobre du proscrit.

Revenons au commencement : Caïn serait-il le premier « facho » de l’Histoire ? Tuer son frère par jalousie… pas joli-joli. Si on prend au pied de la lettre la généalogie de la morale politique établie par l’intelligentsia des « sachants », le dernier rejeton d’Adam et Eve aurait brisé la gangue de l’amour universel pour créer l’« extrême droite ».[access capability= »lire_inedits »]

Cet objet politique non identifié voué aux gémonies éternelles répond à un besoin moral. Celui de se draper dans sa vertu antifasciste plutôt que de se frotter au réel qui pourrait piquer. Caïn et Le Pen constituent donc la face sombre du moralisme consensualiste dont on nous rebat quotidiennement les oreilles. Un antilepenisme conséquent chercherait au contraire à démoraliser le concept d’ « extrême droite » de façon à mener une lutte politique contre ses adversaires idéologiques sans leur céder le monopole du réel.

À cet effet, les plus brillants contradicteurs du Front national en ont dénoncé la xénophobie sans l’élever au rang de catégorie politique. Ainsi Pierre-André Taguieff a-t-il peu à peu déconstruit le mot et la chose après avoir usé ses guêtres à démontrer l’habile habillage sémantique de l’ethno-différentialisme de la Nouvelle droite version 1.0. Après moult tergiversations et controverses picrocholines avec ses confrères, le chercheur doit se rendre à l’évidence, incapable qu’il est d’identifier un quelconque dénominateur commun entre la myriade de petits courants qui composent l’extrême droite médiatique.

Il y a bien quelques idées lancinantes qui rôdent par-ci par là. Vient d’abord à l’esprit la nation, à travers des conceptions exclusivistes et charnelles dont l’embouchure formerait l’« extrême-France » chère à Fiammetta Venner. Aussi séduisante soit-elle, l’assimilation du nationalisme à l’extrême droite relève du raccourci pour antifascistes grisonnants. Des identitaires européo-régionalistes aux contre-révolutionnaires intégraux attachés aux formes archaïques de l’ancienne France, des franges entières de la droite de la droite rejettent la nation comme forme optimale de gouvernement. Par rupture avec le jacobinisme ou avec la nation moderne régie par un Etat souverain, l’idée nationale ne fait donc pas l’unanimité à l’extrême droite. Oublions les fétiches : le triptyque « Travail, Famille, Patrie » fut originellement forgé par le colonel de la Rocque, antifasciste et résistant héroïque, puis récupéré par Simone Weil qui y voyait l’illustration de la supercherie vichyste. Le mot de de Gaulle reste connu : Pétain n’a jamais travaillé ni fait d’enfant et il a, en prime, trahi la patrie en la vendant aux Allemands ! L’habit ne fait pas le moine.

Certes, me direz-vous, mais il reste une communauté de corps, d’esprit et d’ethnie qui rassemble le gros des « fachos » revendiqués. D’aucuns avancent pompeusement l’idée heideggérienne de « métaphysique de la subjectivité » qui ferait dire à Le Pen qu’il préfère sa fille à son cousin, son cousin à son voisin, son voisin à l’étranger, etc. Là où le bât blesse, c’est qu’un tel anti-universalisme n’est nullement l’apanage de l’« extrême droite ». Que l’on songe à Leur morale et la nôtre où, au nom d’une théorie du salut prétendument humaniste et généreuse, on peut tuer sans vergogne ses ennemis de classe.

Quant à la xénophobie proprement dite, elle fait partie des attributs les mieux partagés au monde. Si l’on s’extrayait un peu des cénacles centristes, on s’apercevrait que les partis xénophobes ont essaimé d’un bout à l’autre du champ partisan. L’antisémitisme de Staline n’avait pas grand-chose à envier à celui de Drumont. Les historiens des totalitarismes s’arrachent aussi les cheveux sur la nature exacte de la famine ukrainienne téléguidée par Moscou au début des années 1930, l’« oncle Joe » n’ayant pas été avare de métaphores ethno-raciales en ordonnant ce qui ressemble fort à un génocide. Est-ce à dire que, téléporté en 2011, le Petit père des peuples émargerait à quelque officine de la droite radicale ? Toujours du côté communiste, quoi de commun entre le natalisme forcené de Thorez et la bouillie libertaire que l’on entend aujourd’hui dans les travées de la Fête de l’Huma ? Assurément pas grand-chose. Un maurrassien, jadis figure paradigmatique de la droite extrême, ne retrouverait pas plus ses petits perdus dans un meeting du Front national ou du Bloc identitaire, réputés à tort de la même famille idéologique.

Baudrillard contre l’impasse du moralisme anti-Le Pen

Ces quelques exemples démontrent le caractère mouvant des positionnements politiques. Droite et gauche ne sont pas des invariants. Face aux bourrasques de la mondialisation, existent-ils encore ? Marine Le Pen, qui a lu Alain de Benoist, reprend à son compte la flatteuse dichotomie centre/périphérie, se rangeant immédiatement dans le camp des « petits » (enracinés) contre les « gros » (mondialisés). La manœuvre est habile, d’autant qu’elle rompt avec le « socialisme des imbéciles » qui avait marqué des générations de solidaristes noyant leur antisémitisme dans le poisson antilibéral.

En politique, les slogans ne devraient jamais être labellisés. C’est toute l’ineptie des « thématiques du Front national », ce chiffon bleu-blanc-rouge agité par nos élites intellectuelles, que d’enfermer la réalité sous le masque hideux de la « Bête immonde ». Protester contre les prières de rue et les atteintes à la laïcité, oui. Plaider pour une immigration régulée qui ouvre la voie à une assimilation en bonne et due forme, oui des deux mains. En bonne stratège, Marine Le Pen a adopté la vulgate républicaine et mis au placard les flatulences verbales de son père tout en s’éloignant des intégristes cathos, certes moins nombreux mais aussi peu attachés à la loi de 1905 que les barbus de la rue Myrha. Ce jeu de billard à trois bandes la rend quasi-inattaquable, sinon en pointant ses contradictions anti-fiscalistes et le caractère tardif de son credo assimilationniste.

À trop faire de l’ « extrémiste » un proscrit moralement incurable, les catéchumènes de l’antifascisme risquent de se retrouver fort dépourvus une fois le printemps électoral venu. Avec le ton prophétique qui le caractérise si bien, Baudrillard nous prémunissait déjà contre l’impasse du moralisme anti-Le Pen : « Voué au mal et à l’immoralité, Le Pen rafle toute la mise politique, le solde de tout ce qui est laissé pour compte, ou franchement refoulé, par la politique du Bien […] Le Pen est le seul analyseur sauvage de cette société. Qu’il soit à l’extrême droite n’est que la triste conséquence qu’il n’y en a plus depuis longtemps à gauche ni à l’extrême gauche. » Travailler à une critique radicale de la société serait le seul moyen efficace (mais laborieux) de contrer le monopole lepéniste du franc-parler. Amis contestataires, vous avez du pain sur la planche…[/access]

Janvier 2011 · N° 31

Article extrait du Magazine Causeur



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