Les finances du Front National, dit-on, ne sont guère florissantes. Mais pour la famille Le Pen, finalement, tout cela n’est pas si grave. Les dépenses que leur parti ne peut plus consacrer en tracts et autres matériels de propagande peuvent largement être compensées par la formidable propension de leurs adversaires auto-proclamés à prendre le relais.
Lyon, le 11 décembre dernier
Marine Le Pen est en campagne interne pour la présidence du FN sur les terres de son rival Bruno Gollnisch. Depuis quelques temps, son père et elle sont attaqués par les journaux Minute et Rivarol qui préfèrent le Lyonnais. Elle souhaite absolument défaire son parti de ses vieux oripeaux, pétainistes voire révisionnistes. La veille sur France 2, elle parle d’abomination quand son père évoquait un détail à propos de l’extermination des juifs pendant la seconde guerre mondiale. C’est ainsi que, quand elle s’adresse « à ceux qui n’ont que la seconde guerre mondiale à la bouche », ce n’est pas à la gauche qu’elle pense mais bien à ses adversaires frontistes du jour. Les journalistes Christophe Forcari, de Libération, et Germain Treil, de France Info, expliquent ce malentendu à Daniel Schneidermann dans une vidéo. D’autres sources m’ont confirmé cette interprétation.
Samedi 12 décembre
Ouf ! Elle a jeté le masque. C’est bien la fille de son père, répète t-on en boucle. Pendant toute la semaine, quasisment toute la presse, y compris le journal de Christophe Forcari à sa une, nous explique que Marine Le Pen tentait de déborder Gollnisch sur sa droite montrant qu’elle était bien la fille de son père, avec une comparaison douteuse dont la famille a le secret, alors que la vice-présidente du FN, au contraire, exhortait les siens d’oublier un peu le passé et l’Occupation, pour se consacrer au présent et à des occupations bien plus actuelles. Le signal a notamment été donné par l’UMP à son conseil national, Jean-François Copé en tête, tout frais émoulu secrétaire général. La Gauche n’est pas en reste, bien entendu.
Lundi 13 décembre
Marine Le Pen ne s’attendait pas à un tel déferlement sur une phrase à usage interne d’autant qu’elle a été interprétée à contresens. Mais les premières réactions dans les fils de discussion sur internet lui donnent un indice, qui sera confirmé par les sondages deux ou trois jours plus tard : beaucoup de Français ne lui tiennent pas rigueur de cette phrase, même mal comprise. Elle décide donc de faire sienne la version donnée par la presse et tient conférence où elle dit persister et signer. Ainsi, elle conjugue son goût de la provocation, qu’elle a hérité de son père mais qu’elle réfrène le plus souvent, avec un coup politique servi sur un plateau par ses adversaires. Ces derniers vont continuer à s’enfoncer lamentablement.
Jours suivants
Les premiers sondages arrivent. Et tout le monde est bien obligé de constater que les prières de la rue Myhra ne déclenchent pas forcément l’empathie la plus évidente dans l’opinion. Tout ce joli monde, notamment le PS en colloque, va donc commencer à condamner cet état de fait, contre lequel on n’a strictement rien fait depuis des mois, préfecture de police et mairie de Paris réunies. Mais c’est pour mieux regretter le manque de lieux de culte musulmans, qui en serait à l’origine. Pas de bol : si, globalement en France, ce manque demeure un réel problème, ce n’est pas le cas pour l’histoire qui nous occupe. La Grande Mosquée de Paris -avec son superbe minaret- est vide à la même heure que les prières de rue du XVIIIe arrondissement. Et le Recteur Boubakeur a déjà invité tous les fidèles à venir y exercer leur culte plutôt que de bloquer la circulation. Boubakeur n’est pas fou. Il sait bien que l’origine de cette occupation n’a rien de pieuse mais est belle et bien politique. Une grande majorité ne vient pas du XVIIIe arrondissement mais de tout Paris et même des départements limitrophes. Ce qui implique deux conclusions : il n’y a pas d’islamisation[1. Comme le disait Guy Birenbaum à Ivan Rioufol cette semaine. Ou comme l’expliquait Emmanuel Todd à Ce soir ou jamais] puisqu’il faut que l’on vienne de tous les départements de la petite couronne pour occuper la rue Myhra en priant. Mais en niant le fait que cette occupation du domaine public a bien une origine fondamentaliste, on fait croire le contraire. Ainsi Libé et Copé font le boulot bien plus efficacement que Riposte Laïque, le bloc identitaire et Ivan Rioufol réunis pour suggérer cette idée d’islamisation. En l’occurrence, faire croire que les deux-mille prieurs de la rue Myhra habitent tous le quartier, c’est encore bien plus irresponsable que d’y jeter de l’huile sur le feu en organisant en apéro-saucisson.
C’est pourtant simple de dire non sans ostentation ; simple de voter une loi efficace sur le voile à l’école en 1989 au lieu d’attendre 2003 ; simple de prendre, contre burqa et niqab, un arrêté ministériel[2. Sur la même base juridique que les arrêtés municipaux pris par certains maires pour interdire de déambuler en maillots de bain dans les rues de stations balnéaires] au lieu de laisser pourrir la situation et d’être contraint de faire voter une loi ; simple d’interdire la première prière en pleine rue Myhra au lieu d’attendre que tout le quartier soit bloqué et que ce soit la vice-présidente du FN qui s’en émeuve et se mette 54 % des sondés dans la poche ; simple de refuser ces histoires de nourriture hallal alors que cela ne posait aucun problème à la très grande majorité des musulmans, il y a encore dix ans, de manger autrement ; simple de dire non à ceux qui réclament des horaires aménagés dans les piscines[3. En l’occurrence, la preuve qu’on peut dire non, c’est que c’est le cas de la quasi-totalité des maires et que seuls malheureux avant-gardistes ont eu cette faiblesse. N’est ce pas Jean-Luc Mélenchon qui a écrit qu’il saurait rappeler à Martine Aubry l’histoire des piscines lilloises ?].
En faisant preuve de cette coupable faiblesse face aux revendications d’origine politique et donc fondamentaliste, nos Diafoirus ne risquent pas seulement d’amener Marine Le Pen au second tour de la prochaine présidentielle avec des chances plus sérieuses de bien y figurer, ils finissent par pousser, aussi efficacement -sinon davantage- que ceux qui organisent aujourd’hui des assises européennes contre l’islamisation, des bataillons plus nombreux de musulmans modérés dans les bras accueillants des intégristes. Bel exploit !
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