C’est entendu : notre vibrionnant Prez’ souffre d’innombrables défauts. Ambassadeurs étrangers inclus, tout le monde s’accorde à dire qu’il est susceptible, autoritaire, vulgaire, pas littéraire, pas grand, et ainsi de suite. Il y a cependant une carence qu’on ne pointe pas souvent du doigt et qui, à bien y réfléchir, paraît bien pire que les autres. Le problème est même si fondamental qu’on peut le considérer comme l’une des sources, voire la cause principale de l’« obsession Sarkozy » qui agite tant médias et citoyens.[access capability= »lire_inedits »] En résumé : Maître Sarko ne sait pas bien nous enfumer. Depuis le début de son règne, il manque à ce devoir élémentaire de tout homme politique : nous protéger de la part sombre et malodorante des affaires publiques ; nous épargner le spectacle gênant, et à la longue humiliant, d’un roi nu dont nous connaissons très bien les bourrelets, mais que nous nous lassons de devoir contempler jour après jour dans son plus simple appareil.
Nous autres citoyens ordinaires savons bien que les responsables politiques, président en tête, s’arrangent avec les lois, manipulent les médias, connaissent mal leurs dossiers, ne disent pas ce qu’ils pensent et disent ce qu’ils ne pensent pas pour gagner des électeurs, traitent les idées comme des produits dont ils changeront en cas de mévente, ignorent la vraie vie de leurs citoyens, favorisent leurs amis, placent les membres de leur famille, utilisent les services secrets pour nuire à leur ennemis, complètent le financement de leur campagne en sous-main, regardent les manifestants avec un air narquois, profèrent des gros mots, etc, etc. Non, cette vision ne relève pas d’une pulsion anti-élitiste. Elle puise à un savoir ancestral, partagé à tous les niveaux de l’échelle sociale et qui se nourrit de l’intuition profonde que, sauf bien sûr si on s’appelle de Gaulle, pour conquérir le pouvoir, et plus pour le conserver, il faut avoir une mentalité de petit ou de grand margoulin.
Le citoyen veut que les politiques miment la posture de la vertu
Cependant, tout en sachant pertinemment la vie politique soumise à une logique mafieuse, chaque citoyen attend de ses acteurs qu’ils miment la posture de la vertu. Et s’il y en a un qui ne doit pas faillir dans ce rôle, c’est évidemment le Prez’. Tous autant que nous sommes, nous demandons à Grand Margoulin d’affirmer avec aplomb que la politique n’a rien d’incompatible avec la morale commune. Le premier homme du pays doit parler comme si ses discours étaient fondés sur des réflexions profondes, comme si ses actions obéissaient à des idéaux. Il doit nous assurer que sa position n’est que la récompense de ses compétences, nous certifier qu’il n’y a aucun écart entre ses discours et ses actes, nous jurer que le souci de la nation le réveille au milieu de la nuit. Bref, tous autant que nous sommes, nous demandons au chef de l’Etat de nous raconter des fadaises avec talent. En France, la règle consiste à remplir ce devoir sur un ton paternaliste et pompeux. C’est ce qu’on appelle le panache.
Or, que se passe-t-il depuis plus de trois ans ? Depuis la minute où Sarkozy a été élu, depuis cet instant fatal au cours duquel, devant la France entière, il agita nonchalamment la main à la fenêtre de sa berline avant de rejoindre un symbole de la restauration de luxe, nous voilà quotidiennement contraints de regarder sous la jupe de la République. S’étalent désormais au grand jour des accointances, des manigances, des propos, un langage que la gent politique avait auparavant l’obligeance de garder dans l’ombre. Des vacances bolloréennes à la promotion accélérée du fiston, de l’officialisation de la mainmise présidentielle sur l’audiovisuel public aux pochettes kraft de la maison Bettencourt, de l’élégante éconduite d’un importun au Salon de l’agriculture au filage subtil de la métaphore pédophile, nous assistons en permanence au spectacle choquant de la réalité politique. Elu avec la promesse qu’il aurait le format pour nous conter pendant au moins cinq ans la belle histoire de la République irréprochable, Sarko s’est rapidement révélé piètre illusionniste. Il a bien essayé de faire le job mais, très vite, ses trucs se sont vus. Ses cartes sont tombées de ses manches les unes derrière les autres. Maintenant, les fils de son numéro de lévitation brillent à la lumière comme de gros câbles.
L’hyper-observé laisse beaucoup de portes ouvertes
Bien sûr, tout citoyen aime, de temps en temps, regarder par le trou de la serrure. Nous avons régulièrement besoin de vérifier que notre vision de la politique repose toujours sur la même réalité. Ce pointage nous rassure. Ordinairement, c’est la presse qui s’en charge. Son travail consiste à sortir de temps à autre un joli scandale qui nous permet de frissonner une minute avant de retourner à notre monde immaculé. Mais vivre l’œil collé à la porte ? Devoir contempler la vérité de la politique chaque jour de notre existence ? Autant nous obliger à traverser un abattoir chaque fois qu’on veut s’acheter de la viande ou, pire encore, nous résigner à recevoir nos cadeaux de Noël avec le ticket de caisse.
À la décharge de notre illusionniste déchu, le phénomène n’est pas entièrement de son fait. Si ses ratés virent à la psychose collective, c’est aussi parce que la moindre oreille de lapin qui dépasse de son chapeau fait l’objet d’une diffusion en boucle du matin au soir. Sarkozy n’a pas inventé Internet, ni les smartphones, ni les chaînes d’information en continu. Mais force est de constater que la victime y met du sien. Au lieu de boucher les trous de serrure, l’hyper-observé laisse beaucoup de portes grandes ouvertes et ferme très maladroitement les autres. Nous voilà comme Alex, le protagoniste d’Orange mécanique, ligotés sur un fauteuil, les yeux écarquillés de force, les pupilles vissées à un écran qui diffuse non-stop des scènes de sexe et de violence. Pour se rassurer, on peut toujours se dire que le film de Stanley Kubrick se termine bien. Enfin, ça dépend du point de vue…[/access]
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