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Jeux interdits


Les Jeux Olympiques finis, nous intéresserons-nous enfin à la Chine ? Pour être omniprésent sur nos écrans, les podiums et dans nos supermarchés, le pays le plus peuplé du monde n’en demeure pas moins un mystère. Y compris en librairie : Les habits du Président Mao de Simon Leys ne sont plus tout neufs, et plus personne, de Pierre Loti, ne lit Les derniers Jours de Pékin. Qui, du reste, s’appelle désormais Beijing.

Bref, à force de ressasser que la Chine changeait – sans toutefois vraiment changer, tempéraient les sinologues… – nous n’avons pas pris la mesure de ce qui s’y est réellement passé depuis vingt ans. Depuis la révolte de Tiananmen, en fait. Souvenez-vous : il y avait là de jeunes contestataires qui allumaient des bougies, dansaient sur Simon & Garfunkel et s’embrassaient fort peu chinoisement entre deux grèves de la faim. Une fois leur statue de la Liberté en plâtre élevée, le pouvoir les dispersa dans un bain de sang, le 4 juin 1989. Et nous en sommes restés là, à cette image d’Epinal – celle du petit bonhomme avec son sac à commissions, tentant d’immobiliser le premier d’une longue colonne de blindés.

Depuis ? Eh bien, depuis, répondront les experts, la Chine a récupéré Hong Kong, quadruplé son PNB, mis la main sur une partie de l’Afrique, fait monter le cours de toutes les matières premières, etc., etc. Mais pour décrire ces deux décennies de bouleversements, pour les raconter autrement qu’avec des chiffres si vertigineux qu’ils ne nous parlent guère, il fallait un roman – et un roman hors norme : Beijing Coma. Copieux, intime, nerveux, c’est un roman « à la russe » par sa longueur et l’imbrication des destins de personnages aux noms imprononçables ; il tient aussi du pavé américain pour sa crudité, ses détails, et sa construction en flash-back.

Le roman, justement, commence à Tiananmen, où le héros est plongé dans le coma par la balle d’un policier. Le récit suivra sa lente émergence, les bribes de sa mémoire retrouvée seront confrontées à des scènes d’une vie qui continue, frénétiquement, dans un pays à l’indestructible vitalité. Entre l’époque où « il fallait baisser les yeux quand on croisait un étranger » et les préparatifs des Jeux, où il s’agira désormais de leur en mettre plein la vue, Beijing Coma raconte la résurrection d’une nation traumatisée par les dizaines de millions de morts du maoïsme, un pays soudain pris d’une frénésie d’enrichissement et d’un chauvinisme inouï. Sexe, prolétaires errants, passion du jeu, trouille du flic et culte du fric, chambardements dans les familles : voici les entrailles, fumantes et vivantes, de la Chine nouvelle. Et, bien sûr, pas plus pour la Chine que pour le héros comateux, l’histoire ne s’en tiendra là : « Ceci n’est pas un bref éclair de vie avant la mort. Ceci est un nouveau commencement. » Bien d’autres surprises nous viendront d’Orient… Nous l’avons peut-être longtemps ignoré mais, en vingt ans, dans tous les domaines, et sur tous les tons, la Chine aura beaucoup tremblé. A nous de nous réveiller.

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David Martin-Castelnau est grand reporter, auteur des "Francophobes" (Fayard, 2002).

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