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Stupeur et tout le tremblement


Stupeur et tout le tremblement

Je l’ai déjà avoué dans ces colonnes, je suis abonné à Télérama depuis quelques années, presque un lustre déjà. Il n’y a pas de quoi être fier certes, mais pas de quoi être honteux non plus. Télérama a été fondé par Georges Montaron, un grand catholique « de gauche », dont on n’a pas besoin de partager toutes les idées pour l’admirer. Certes, ce n’est pas là que l’on trouvera de profondes réflexions sur le sens de la foi aujourd’hui. Cela fait longtemps que le pape des magazines télé fait l’affranchi et s’est transformé en un journal comme les autres, la prétention culturelle en plus : ses « racines chrétiennes » ne sont qu’un souvenir honteux, rarement évoqué d’ailleurs, comme tous les souvenirs honteux. On dirait presque, si l’on était mauvaise langue, que c’est dans le déni de ses origines chrétiennes que ce magazine pour la populace semi-cultivée dont je fais partie, fait preuve d’un léger snobisme, ce qui le rendrait presque sympathique au fond. Quand Télérama parle de l’Eglise, c’est un peu comme quand un adepte de la psychanalyse se décide enfin, dans le secret d’une confession laïque, à parler de ses relations avec papa-maman: on pressent que ça ne va pas être tendre, et que d’autre coulpes que la sienne vont être battues.

C’est pourquoi le catholique que je suis tremble un peu lorsqu’il constate que son canard décoincé choisit de s’intéresser à la place de l’Eglise dans le monde contemporain, sujet qu’il aborde longuement dans son numéro 3174, du 13 au 19 novembre 2010. D’emblée, la charge est vive. Nos cathos repentis décrivent sans ambages dans la présentation du dossier « l’intellectuel catholique » comme « une espèce en voie de disparition » qu’il ne s’agit pas d’ailleurs, contrairement à toutes les autres sans doute, de protéger particulièrement, si l’on en croit la place à peu près nulle que le journal lui réserve. Un peu comme s’il fallait à toute force que ça ne pense pas de ce côté-là, le côté que l’on a renié. Il faudrait avouer que l’on se trouverait Gros-Jean comme devant si l’on se mettait dans la délicate position de devoir constater que l’on a troqué le droit d’ainesse de la richesse de la pensée catholique pour l’indigeste plat de lentilles de la modernôlatrie. J’ai fait le trajet inverse, et « redécouvre » chaque jour, après une enfance très vaguement chrétienne, et une jeunesse parfaitement en phase avec l’air du temps de mon époque, la richesse intellectuelle du catholicisme, à travers la lecture de penseurs et de romanciers catholiques contemporains, (citons seulement Girard, Ivan Illich, Muray ou Taillandier). C’est pourquoi le diagnostic m’a laissé d’abord coi, puis légèrement hilare. La méthode Coué est peut-être efficace, mais toujours un peu comique.

Par ailleurs, à en croire mon magazine télé unique et préféré, « être catholique aujourd’hui », thème du grand reportage du dossier, c’est très notamment vouloir « faire bouger l’Eglise ». Bon. S’il y a bien un truc qui ne bouge pas de nos jours, c’est cette volonté de tout faire bouger, même ce que que l’on croyait être le plus inamovible. On se souvient peut-être de publicitaires qui, il y a plus de vingt ans déjà, prétendaient nous faire bouger avec La Poste. « Bouger avec La Poste ! » Il faudrait peut-être aussi que je porte mes colis moi-même, en vélo en compagnie du postier, jusqu’à leur destinataire? A ce compte là, pourquoi pas l’Eglise, certes.

Cependant, personnellement, moi qui tente d’être catholique, aujourd’hui et demain aussi, si j’aime l’Eglise c’est justement parce qu’elle ne bouge pas trop. Parce qu’elle reste bien en place, à l’endroit où je sais qu’elle se trouve, contrairement au reste. Quand tout se met à bouger frénétiquement, l’Eglise est là. Très concrètement, c’est ainsi que j’aime à voir mon église paroissiale à moi, l’église St Pierre St Paul de Montreuil, où fut baptisé le roi Charles V, et qui est aujourd’hui environnée de bistrots chinois, de marchands des quatre-saisons arabes, et où les taxiphones prennent la place des boulangeries. La présence ancestrale de l’église que fréquentait saint Louis en compagnie de sa mère Blanche de Castille me rassure et me permet d’accepter d’un cœur moins lourd le remodelage incessant de la ville. « Tu es petrus et super hanc petram aedificabo ecclesiam meam » disait quelqu’un, avec sans doute l’idée derrière la tête que malgré ses reniements passés cette pierre là ne bougerait pas trop. Mais apparemment, l’Eglise selon le Christ, ça n’est pas trop ce qui branche mes amis journalistes de Télérama. La couverture du magazine nous montre ainsi une magnifique église démontable à loisir puisqu’elle est composée de cubes de bois vraisemblablement trouvés chez Joué Club, même si à mon humble avis de père de famille, ça ne sera pas le produit star du prochain noël. Je fais ce que je veux avec mon Eglise, que j’exige montable et surtout démontable à souhait. Le rêve infantile des cathos « progressistes » enfin réalisé : que l’Eglise s’adapte à moi plutôt que moi à elle. Qu’elle se confonde avec le monde, avec mon petit monde transitoire à moi, et qu’on n’en parle plus.

On peut ainsi entendre comme un lapsus amusant la phrase qu’un journaliste de Télérama met dans la bouche d’un valeureux curé de campagne : à l’occasion d’un mini- apéritif géant organisé pour les commerçants du coin, il s’agissait d’ouvrir grand les portes afin de « faire sortir la communauté de l’église », avec l’idée sans doute qu’elle n’aurait plus l’envie, une fois qu’elle se serait fait des copains dans la vraie vie du vrai monde réel, d’y retourner jamais.



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Florentin Piffard est modernologue en région parisienne. Il joue le rôle du père dans une famille recomposée, et nourrit aussi un blog pompeusement intitulé "Discours sauvages sur la modernité".

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