L’information est passée quasiment inaperçue en France : Tikhon Khrennikov est mort, en 2007, à l’âge de 94 ans. Nommé secrétaire général de l’Union des compositeurs par Staline, en 1948, ce médiocre musicien a régné en maître sur ses confrères de la fin des années 1940 jusqu’à nos jours. Relayant les directives aberrantes de Staline et de Jdanov, Khrennikov n’a eu de cesse de terroriser les plus grands compositeurs russes de cette époque afin de leur imposer une esthétique « soviétique », c’est-à-dire tout à la fois étrangère au formalisme désigné comme bourgeois, et habitée par l’ambition de chanter le destin glorieux d’homo sovieticus.[access capability= »lire_inedits »]
Chefs-d’oeuvre en tyrannie
Khrennikov, ayant gardé une influence considérable après la mort de Staline, et même après la chute du bloc soviétique, a fait l’objet de ce ridicule hommage du samboïste[1. Le sambo n’est pas une danse brésilienne mais une forme de lutte pratiquée en Mongolie.] Poutine : « La mort a frappé un compositeur de talent, un mélodiste remarquable, un homme doué d’une grande créativité artistique. » L’ironie de l’Histoire continue.
La Cité de la musique nous rappelle, dans une remarquable exposition « Staline et la musique[2. Jusqu’au 16 janvier 2011.] » que, si les conditions de création des compositeurs soviétiques ont souvent été exécrables (menaces diffuses, brimades diverses, omniprésence de Khrennikov, etc.), cette période fut un véritable âge d’or de la musique classique russe, dont chaque mélomane garde en lui quelques échos majeurs.
Le visiteur se promène de Pierre et le loup de Prokofiev (que l’on peut voir comme une allégorie de l’homme soviétique aventureux se libérant des schémas passés) jusqu’à l’adagio de Gayaneh, de Khatchatourian (que Kubrick a utilisé dans 2001 pour souligner les séquences mélancoliques), en passant par les quinze symphonies de Chostakovitch – dont la septième composée pendant le siège de Leningrad pour célébrer la résistance héroïque de la ville alors que la situation semblait désespérée − qui constituent un monument du genre.
L’exposition n’omet aucune étape historique dans cette épopée de la musique classique en terre d’Utopie. On y suit la ferveur de la révolution d’Octobre, l’interventionnisme de Staline dans les affaires culturelles, la quête d’une esthétique purement nouvelle, la Grande Guerre patriotique, le Goulag. Mais on constate également, en suivant ce fil rouge, que, sur le terreau douteux de la tyrannie (dont on s’accommode ou à laquelle on résiste) peuvent éclore des chefs-d’oeuvre impérissables.[/access]
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