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Houellebecq, well but ?


Houellebecq, well but ?
Avec La Carte et le territoire, Michel Houellebecq écrit une "contre-utopie baroque".
Avec La Carte et le territoire, Michel Houellebecq écrit une "contre-utopie baroque".
Avec La Carte et le territoire, Michel Houellebecq écrit une contre-utopie baroque.

« Le monde est ennuyé de moy / Et moi pareillement de luy. » C’est sur cet exergue emprunté à Charles d’Orléans que s’ouvre La Carte et le territoire. A priori, ça sent furieusement sa posture. Le premier vers du prince, au moins, ne s’applique aucunement à Michel : loin d’en être « ennuyé », le monde entier ou presque pâme devant luy.

C’est même ça, plus que la posture[1. Qui n’a pas ses petits défauts ?], qui fait problème. Par quelle magie ce misanthrope pessimiste charme-t-il désormais tous azimuts, des blogueurs les plus rebelles aux critiques les mieux installés, de la gauche à la droite et jusques aux USA ?

Nabe, souvent lucide sur les autres, donnait en ces termes la recette du succès houellebecquien : « Roman à thèse + écriture plate + athéisme revendiqué + critique de son temps (mais pas trop) + défense du capitalisme + attaque des Arabes = succès garanti[2. In Le Vingt-Septième Livre (cf. Dictionnaire des injures littéraires, de Pierre Chalmin).]. »[access capability= »lire_inedits »]

Bien sûr, on trouverait là, à l’analyse, des traces de mauvaise foi. Vieux différend entre ex-amis séparés par la vie ? Choc d’égos qui aurait été fatal à leur duo – comme Elie & Dieudonné, Pétain et de Gaulle, Cartman et Stan ? Bien sûr que Houellebecq s’est créé un personnage ; et alors ? C’est pas ça qui le distinguera de Nabe !

Michel faut venir à lui les petits-enfants déboussolés du progressisme

Impossible en tout cas de ne pas saluer le parcours éditorial et médiatique de Michel depuis quinze ans ! Même les putes thaïes et les partouzes glauques, absentes de cette livraison, furent sans doute nécessaires en leur temps pour soulever l’intérêt de la masse critique, blasée mais toujours frustrée. Quant à ses expériences musicales avec Burgalat et Iggy Pop, même bancales ou foireuses, c’est que du bonus : ça vous pose en artiste complet ! Un sans-faute donc, hormis peut-être son bouquin d’« échanges » quasi porno avec BHL − dont la diffusion restera par bonheur confidentielle.

Mais le vrai succès de Michel, c’est d’avoir su faire venir à lui-même les petits enfants déboussolés du progressisme. Le 8 septembre, Les Inrocks consacraient pas moins de sept pages à cet « écrivain essentiel ». Il fallait le voir posant au phtisique dans une chambre d’hôtel sinistre : « Ce livre sera peut être mon dernier », affirmait-il en titre d’un entretienfleuve, entrecoupé seulement par des photos de son mouroir et quelques inters genre « Je suis vieux maintenant… Je sais que je n’en ai plus pour très longtemps ». Ben voyons ! Ce mourant a trente-trois ans de moins que Jean d’Ormesson, et même pas de cancer comme Mitterrand…

Mais bon, faut être malin : quand on explique à des gens de gauche que tout fout le camp, autant se mettre dans le lot ! D’ailleurs, la critique de La Carte, parue dès le 29 août sur le site des Inrocks, évite soigneusement d’aborder le fond. Elle préfère insister, à coups d’adjectifs hyperboliques, sur le « formidable autoportrait » que constitue ce « magnifique roman […] irréductible à une seule thèse ». (Traduction : s’il n’y en avait qu’une, ce ne serait sans doute pas la nôtre…)

Pourtant l’honorable Télérama, une semaine plus tard, dit exactement le contraire. Ce n’est pas un autoportrait, c’est « un tableau du monde contemporain : règne de l’argent et de la vulgarité, impostures médiatico-mercantiles en vogue ». Et puis soudain, après débriefing de son rédac’chef peut-être, la journaliste nuance son propos : « Posture réac, diront certains. Libre à eux de réduire à cela la portée du roman. » En gros, Houellebecq, c’est comme l’alcool pétrifiant des Tontons flingueurs : y » a du réac, mais y » a pas que du réac…

Le plus audacieux de la bande, c’est quand même Le Monde, qui décerne à Michel un brevet de cette « rébellion institutionnelle » qu’il incarne depuis soixante-cinq ans. Outre un substantiel dossier dans son supplément littéraire, le « quotidien de référence » lui consacre carrément deux colonnes à la une[3. 3/9/10.]. Sous une photo de l’artiste, plus souriant et mieux peigné que dans Les Inrocks, s’étale ce titre : « Michel Houellebecq pose un regard aigu sur le déclin du monde occidental ». On n’est pas plus critique !

Il est là, le problème que j’évoquais d’emblée. Si tout le monde comprend Houellebecq, c’est que certains se trompent d’erreur, à moins qu’il ne se paye notre tête à tous…

Le ciel est aussi vide que nos frigos bruyants et nos yeux cernés de toutes parts

Que veut donc dire Michel, à travers et malgré son succès ? À l’évidence, ce qui plaît chez lui, en première analyse, c’est sa petite musique de crépuscule punk : no future, no way out, no nothing…

Houellebecq, c’est le prophète Philippulus[4. Cf. Tintin et l’étoile mystérieuse.] sans la foi : « La fin des temps est proche ! », certes ; mais à quoi bon « se repentir » ? Le ciel est aussi vide que nos frigos bruyants et nos yeux cernés de toutes parts. Alors oublions tout et allons plutôt à l’hypermarché !

L’homme est le nouveau dieu que s’est inventé notre civilisation agonisante ; mais on s’en bat les couilles vides, vu que la misérable espèce humaine ne mérite pas mieux, entre nous. Tel est l’horizon intellectuel que fixe Houellebecq à ses lecteurs. Heureusement, il reste l’art ! Comme disait Mario Vargas Llosa, avec l’autorité que lui donne désormais son Nobel tout frais, « la vie est une tornade de merde dans laquelle l’art est notre seul parapluie.[5. C’est moi qui cite.] »

Sauf que l’art en question, c’est du roman ! Mieux même, comme le résume sans gêne la quatrième de couverture : « Un roman résolument classique et ouvertement moderne[6. Note à mon éditeur Gilles Haéri (Flammarion) : Est-ce que je pourrais avoir la même ?] ». Que peut bien vouloir dire cet oxymore ? Rien, bien sûr. C’est même pour ça qu’il est vendeur !

Toute la partie contrebandière du succès houellebecquien tient là-dedans. Son Fabrice à Waterloo donne-t-il quand même une idée de Waterloo, ou seulement de Fabrice ? Et d’ailleurs, qui est Fabrice ? « Mon nom est légion », répond ici Houellebecq, à l’instar de Belzébuth dans les Évangiles. Où le chercher, en effet, entre toutes les voix qu’il emprunte ? Celles de son héros Jed Martin, « artiste plasticien » ; de son homonyme écrivain, qu’il met en scène puis à mort dans des circonstances atroces ; du commissaire Jasselin, chargé de l’enquête ; ou même de ce chien coupé qui assiste à la scène impuissant ?

Au lecteur de deviner, s’il y arrive ! Un indice quand même : le « Michel Houellebecq » du livre ne saurait être le vrai, puisqu’il meurt avant la fin alors que l’autre est en promo !

Mais après tout, c’est pas un essai, c’est un roman, n’est-ce pas ? Un roman, c’est-à-dire un labyrinthe où tu as intérêt à te plaire, parce que seul l’auteur en connaît la sortie ; et pour cause : elle n’existe que dans son imagination…

On l’aura constaté : dès que j’ai l’occasion de caser un couplet contre le roman, je ne m’en prive pas[7. A part les polars et les romans d’avant 1900, c’est-à-dire utiles.] ; mais ici, Michel ne nous prend pas en traître. Même s’il a publié essais et poèmes, il est surtout connu pour ses oeuvres romanesques[8. Voir notamment Les Îles élémentaires (Guide du routard, 2005), La Carte et le menu (Pudlowski, 2007), La Possibilité d’une particule (Héloïse d’Ormesson, 2009).].

L’intérêt de cette fable-là, c’est qu’elle nous dessine un Houellebecq à marée basse. En slip dans le sable mouillé, comme un Katerine qui ne ferait même pas semblant de trouver ça drôle.

En se fouaillant il nous crucifie

Un Houellebecq qui ne nous vend plus rien pour bander, même honteusement : ni obsession sexuelle, ni anti-islamisme obsessionnel. Qu’est-ce qui reste ? Un médecin légiste qui s’auto-autopsie. Eh bien, vous voulez que je vous dise ? Ce serait intéressant même si on n’était pas faits comme lui…

Le « petit plus » de Michel, c’est qu’en se fouaillant, il nous crucifie ! Pessimiste sur la nature humaine, il étend ça à Dieu sans prévenir. Pour autant, il reste ouvert à l’idée d’au-delà, dès qu’elle atterrira… En attendant, l’infidèle répète fidèlement son mantra jem’en- foutiste, et qui songerait à le lui reprocher[9. Moi, si j’étais ses parents.] ?

La vie selon Houellebecq n’est qu’une « fiction brève », qu’il résume élégamment à « la sensation inutile et juste que quelque chose aurait pu arriver ».

Rien n’arrive-t-il donc jamais ? Rien n’est moins sûr… Même moi, tel que vous me lisez, j’ai failli tomber de ma chaise en voyant Houellebecq citer Chesterton. Quand un agnostique dépressif en vient à se réclamer d’un catho dyonisiaque, ça s’arrose !

Or c’est ça qui se passe dans ce livre – ou du moins, c’est la vérité que je retiens de cette fiction. Michel plaide sans masque pour une contre-utopie baroque née du cerveau de Gilbert K. : « Une révolution basée sur le retour à l’artisanat et au christianisme médiéval », tout simplement. Est-ce que Houellebecq y croit vraiment ? Je n’en sais rien, vu qu’apparemment il ne croit à rien… Moi, en attendant, je suis partant, du moment qu’il y a un coup de blanc.[/access]

Novembre 2010 · N° 29

Article extrait du Magazine Causeur



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