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Maman au biberon, papa au Salon


Maman au biberon, papa au Salon
Photo : Daniel Spils
Photo : Daniel Spils

Il faut aller au Salon de l’auto. Pardon, au Mondial de l’Automobile comme ils voudraient qu’on dise. Il faut y aller même quand, comme moi, on roule à vélo dans Paris, ou en Clio pourrie à la campagne. Parce que si l’on veut avoir une idée de ce qu’est la France aujourd’hui, un bref séjour Porte de Versailles évitera à l’ethnologue curieux d’avoir à se cogner des allers et retours entre Paris et Montluçon, Périgueux ou Bobigny.

Une Bentley et une épouse neuves

La bagnole c’est pour les hommes : du haut de notre permis de conduire obtenu à 18 ans sans trop de mal, on se disait que les voitures, c’était fait autant pour les hommes que pour les femmes. Je ne connais pas le taux de féminisation chez les conducteurs mais je ne vois pas pourquoi aujourd’hui, on trouverait vraiment moins de gonzesses au volant que d’hommes. Donc, mon pauvre esprit malade se disait, puisque –selon la formule consacrée- la moitié des conducteurs sont des conductrices, le Salon de l’auto doit aussi s’adresser à ces clientes potentielles. Je me disais donc, que le mythe de l’hôtesse court vêtue virevoltant autour de la grosse cylindrée ressortait des mythes urbains. Et que si ça se trouve, les constructeurs ont embauché au moins autant de clones de Daniel Craig que de Pamela Anderson pour ouvrir les portières et débiter la fiche technique des engins. Patatras. Des hôtesses, partout, en jupe, en robe, en mini-jupe, en mini-robe. Jusqu’à celles qui défilent toutes les 5 minutes sur le stand Lamborghini façon fashion-motor-week et se déshabillent entre les modèles…

La bagnole, c’est pour les hommes, les vrais : dehors les gonzesses, à moins d’être hôtesse. Bizarrement, les seuls visiteurs que j’ai vus accompagnés d’une femme sont ceux qui vont pouvoir acheter des voitures sans s’endetter sur 15 ans auprès de Cofinoga. Le gentleman-driver amateur de Porsche ou de Maserati, chemise bien repassée et mèche qui brille, a le droit de rentrer sur le stand et d’essayer les autos sous le regard envieux du loulou de banlieue ou de province qui peut juste brandir son instamatic, -non, son appareil numérique, je sais- pour ramener des chouettes photos de ladite voiture. Le client à gros potentiel est généralement accompagné donc d’une femme, qui a bien raison de ne pas le laisser seul. Sait-on jamais, pris de folie, il pourrait repartir avec une Bentley et une épouse neuves.

Le syndrome du canapé en cuir

Tout ça me laisse perplexe : je croyais aussi bêtement, que depuis au moins vingt ans, les hommes avaient fini de situer leur virilité dans leur bagnole. Qu’à part quelques rappeurs crétins, qui continuent à mettre des filles en zérokini qui nettoient les Hummer dans leurs clips, personne ne pensait qu’une grosse voiture égale un gros potentiel de drague, pour rester polie. Il semble que je connais bien mal les hommes. Et les femmes aussi, puisque si les messieurs sont si à cran sur la cylindrée du moteur, c’est que ça doit bien rencontrer un écho quelque part chez le sexe d’en face. Bref, je suis inquiète pour mon pays.

La bagnole, c’est pour ceux qui aiment les canapés en buffle de chez Cuir Center : je suis inquiète car j’ai toujours cru qu’une voiture c’était un truc qui roulait et permettait d’aller un endroit à l’autre en réduisant les temps de parcours, les risques et la fatigue. Je sais, moi aussi il m’arrive de trouver certains modèles plus jolis et confortables que d’autres. Mais j’aurais à acheter une voiture pour aller à mon travail de cadre moyen, je ne m’endetterais pas sur 15 ans à taux variable. Or l’hétéro à sac à dos du salon de l’auto s’endette, quand il en a marre de rêver tous les deux ans. Je ne juge pas, mais je trouve ça bizarre. Et je me souviens du canapé en cuir à 2000 euros qu’on voit dans les prospectus que lâche régulièrement mon facteur dans ma boîte aux lettres. Je ne vois pas l’intérêt d’un meuble pareil, c’est cher, froid et le chat ne peut même pas y faire ses griffes. Pourtant il s’en vend des milliers, dans toutes les banlieues de France. À des gens qui s’endettent pour ça. Question de statut social. Comme la télé LED géante, ou autrefois la cuisine intégrée en chêne massif. Statut social. Voir ce vieux pays rendu à un statut social automobile ou à canapé en cuir, m’attriste. Mais c’est la France et donc ma France : My country, right or wrong ! Et j’ai envie de donner un petit conseil à nos gouvernants en mal de popularité : au lieu d’aller à Rome baiser les mules du Pape, allez tous les jours Parc des Expositions, et faites-y des promesses sur les radars, les contraventions ou la fin des limitations de vitesse. Un bon moyen pas cher, si ce n’est de regagner des électeurs, au moins de les toucher de près.



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