Je n’ai pas de problème avec l’islam. L’islam en a peut-être un avec moi, je veux dire avec nous ou avec vous, mais je n’en ai pas l’impression. Par exemple, j’ai un problème avec le capitalisme qui, après avoir produit de la richesse, produit surtout de la misère en se financiarisant. Il explique ces jours-ci, avec l’aplomb et un art accompli du nonsense, qu’il faut travailler plus et gagner moins alors que les grands patrons travaillent moins et gagnent toujours plus. J’ai un problème, aussi, avec les boutefeux de la guerre civile ethnique qui n’ont pas fait leur service militaire mais veulent rouler des mécaniques rue Myrha[1. Et je n’ai pourtant aucune sympathie pour les gens qui prient dans l’espace public.] dans des apéros « républicains » heureusement virtuels, car ces gens-là aiment bien allumer l’incendie mais envoient toujours les autres les éteindre. The same old story, comme chantait Billie Holliday. Quand il y a une guerre, ceux qui veulent la faire sont rarement ceux qui la font. C’est pour cela qu’il y a assez peu de vieux sur les monuments aux morts et que je serais curieux de connaître, parmi le tout petit nombre d’intellectuels néoconservateurs français qui voulaient envoyer nos pioupious au feu en 2003, combien étaient ou avaient été ne serait-ce qu’officiers de réserve.[access capability= »lire_inedits »]
Irak et Turquie : l’échec du « containment » islamophobe
Comme l’a balancé Eric Raoult à un petit journaliste de Canal+ qui croyait faire le malin en lui demandant ce qu’il pensait du cadeau fait par l’UMP à Chirac dans le remboursement des frais de bouche de la mairie de Paris : « Au lieu de dire des conneries, tu ferais mieux de remercier le président qui a empêché ton grand frère de revenir de Bagdad dans un sac en plastique. »
Les islamophobes, au moins ceux qui le sont sur un plan géopolitique, sincèrement, je ne les comprends pas. Les troupes américaines s’en vont après avoir laissé plusieurs milliers de morts à eux sur le terrain et plusieurs centaines de milliers chez les autochtones. Pour quel résultat ? Eh bien, la création d’une mosaïque de principautés musulmanes très hargneuses où chiites et sunnites vont se mettre sur la tronche de plus belle dès que la dernière section de GI aura quitté la Zone verte. Or, qu’y avait-il avant l’intervention américaine ? Un pays laïque. C’était une dictature, méchante, cruelle, mais laïque, et Saddam Hussein valait ce qu’il valait, il n’empêche qu’il tenait son monde. Alors pourquoi cette guerre ? Ce n’était pas pour sauver la civilisation occidentale ? Ç’aurait été pour de simples questions d’approvisionnement pétrolier ? Je sens qu’on va encore dire que je ramène tout à l’économie.
Même chose avec la Turquie. Voilà un pays que tout le monde commence à regarder d’un sale œil. Il sert de base arrière aux flottilles dites « de la paix » et son président, Recip Erdogan, musulman modéré[2. Je suis d’accord : c’est un oxymore. Comme « capitalisme moral ».], remet tranquillement mais sûrement en cause les acquis du kémalisme. Rappelons que Mustafa Kemal avait, dès les années 1920, occidentalisé son pays, que sa laïcité intransigeante avait forcé les hommes à se raser et les femmes à se dévoiler, que la séparation entre l’islam et l’Etat a fait de la Turquie le seul pays, avec le Mexique, qui ait en la matière une conception proche de la nôtre. Assez logiquement, les Turcs se disent : « Nous allons adhérer à l’Europe » ; et l’Europe leur dit, en gros dès les années 1960 : « D’accord, mais dans trente ans, le temps que vous vous développiez un peu. »
Trente ans passent… D’accord, mais il faut arrêter avec les Kurdes, vous vous comportez n’importe comment ! Ils se calment et libèrent même le leader condamné à mort. Eh bien tiens, puisqu’on parle de peine de mort, ce serait bien de l’abolir. Les Turcs l’abolissent. Mais voilà, la porte reste toujours fermée. Résultat : le peuple turc, qui se sent tout de même un peu humilié, vote et revote en masse pour l’AKP, le parti de Recip Erdogan.
Donc, si je fais les comptes, les partisans du « choc des civilisations » et du containment de l’islamisme ont surtout réussi à transformer deux Etats pro-occidentaux en deux Etats énervés (et encore l’appellation d’Etat pour ce qui reste de l’Irak est un bien grand mot.)
Le seul Etat qui aurait le droit d’être islamophobe, c’est Israël. Pour le coup, entre le Hezbollah libanais et le Hamas gazaoui, il est en première ligne. C’est sans doute pour ça que l’inflexible « Bibi » Nétanyahou a décidé d’accepter l’idée de pourparlers directs. Pour sauver le soldat Abbas, le dernier Palestinien qui ne soit pas islamiste.
L’islamisme n’est pas consubstantiel à la cause palestinienne, c’est même historiquement une forme assez récente de cette revendication, alors que l’OLP et le Fatah étaient avant tout laïques et progressistes avant d’être débordés par une fraction religieuse qui a prospéré sur le désespoir, la misère et − soyons honnête − une corruption endémique dans l’Autorité palestinienne.
Voile, burqa, islam des caves : problèmes réglés
Mais je reviens dans nos parages et, je le répète, je n’ai pas de problème avec l’islam. Je n’aime pas l’idée qu’un marchand de malbouffe procède à une opération marketing dans plusieurs villes. Mais lui rappeler simplement que l’actionnaire majoritaire de ses mangeoires est la Caisse des dépôts et consignations, donc vous et moi, pourrait peut-être l’inciter à changer de stratégie commerciale. À moins que certains politiques aient intérêt à ce que se créent des ghettos communautarisés comme autant d’abcès de fixation. Je n’ose le penser.
Plus généralement, je suis très étonné qu’on soit islamophobe dans un pays comme le nôtre où, dès qu’un problème se posait en la matière, il était jusqu’à maintenant résolu avec la fermeté républicaine qui s’impose. Le voile à l’Ecole ? Une loi. L’islam des caves ? Un Conseil français du culte musulman initié par Chevènement et parachevé par Sarkozy. La burqa ? Une loi initiée par mon camarade André Gerin. On le voit : la question fait en plus l’objet d’un consensus républicain qui n’exclut que quelques ayatollahs des deux camps, partisans d’un gauchisme angélique ou d’une droite ethnico-saucissono-pinardière.
Non, je n’ai pas de problème avec l’islam parce que les problèmes qu’il pose ont été réglés, se règlent ou se règleront.
À moins, c’est vrai, qu’on fasse soudain un lien entre immigration et délinquance. À moins qu’on refuse de constater que les inégalités sociales, scolaires, sanitaires ont tendance à se concentrer dans les mêmes endroits. À moins qu’on remette en question le droit du sol et l’égalité des citoyens devant la loi. À moins qu’on se mette à essentialiser ou instrumentaliser tels ou tels de nos compatriotes.
À moins donc qu’on cesse d’être Français.
Dans ce cas, comme c’est le seul pays que j’aime pour ce qu’il a eu de générosité et de génie (les deux se confondent toujours, au bout du compte), il ne serait pas impossible que je demande à être déchu de ma nationalité.[/access]
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