L’analogie s’impose d’elle-même : la gloire soudaine de Thilo Sarrazin, obscur politicien berlinois ayant pantouflé au directoire de la Bundesbank, rejoint celle de la défunte Oriana Fallaci, auteur du brûlot anti-islamique La Rage et l’orgueil qui fit scandale lors de sa publication en France, en 2002.
Le succès foudroyant de son livre, Deutschland schafft sich ab (« L’Allemagne s’autodétruit’)[1. Editions DVA.] a conféré une notoriété mondiale à un homme qui jouait un peu le rôle de Georges Frêche au pays d’Angela Merkel. Membre depuis sa jeunesse du Parti social-démocrate (SPD), ce rejeton d’une famille huguenote française émigrée en Allemagne a exercé pendant plusieurs années la fonction de sénateur (ministre) chargé des finances du Land de Berlin. Un poste pas commode, car la capitale de l’Allemagne est constamment au bord de la faillite en raison du peu d’empressement des autres Länder à contribuer aux dépenses induites par le rôle de capitale de la République fédérale. Berlinois jusqu’au bout des ongles, protestant jusqu’à la moelle, Thilo Sarrazin s’était fait une réputation de maverick au sein de son parti − et plus largement de la classe politique allemande − en proférant de petites phrases assassines contre les Rmistes de son pays, qu’il dénonçait comme des fainéants budgétivores, et en traitant de « trous du cul » des étudiants gauchistes qui avaient envahi son bureau.[access capability= »lire_inedits »]
Comme Fallaci, Sarrazin ne s’embarrasse pas de circonvolutions pour développer, dans son livre, la théorie selon laquelle l’afflux d’immigrés musulmans, essentiellement turcs, « appauvrit intellectuellement l’Allemagne » car, selon lui, la plupart d’entre eux ne disposent que d’un QI limité. De plus, affirme-t-il, « plus la classe sociale est basse, plus ses membres font d’enfants, et parmi ceux-ci des filles entchadorées dès l’enfance ». Le ton exaspéré est le même que celui de l’Italienne reprochant aux musulmans de se « multiplier comme des rats ».
Ce qui fait scandale, dans les deux cas, c’est que ces thèses soient défendues par des personnes pourvues d’un curriculum antifasciste en béton : Fallaci était à peine sortie de l’enfance qu’elle luttait, les armes à la main, contre Mussolini avec les partisans italiens, et Sarrazin est un élu de gauche depuis des lustres.
L’utopie multiculturelle des post-soixante-huitards repeints en Verts
En Allemagne, ce n’est pas la première fois qu’un pamphlet pointe la lâcheté des autorités allemandes face aux comportements ultra-communautaristes d’une partie des immigrés musulmans. Dans son livre Hurrah, wir kapitulieren ![2. Editions WJS.] (traduction inutile), le journaliste et essayiste Henryk Broder démolissait joyeusement l’utopie « multiculturelle » brandie par les post-soixante-huitards allemands repeints en Verts. Ce juif polonais émigré tout jeune en Allemagne est passé par la case gauchiste avant de rompre avec cette mouvance qui versait peu à peu dans un antisionisme exacerbé. Avec quelques amis ayant suivi le même parcours, il a fondé le site Die Achse des Guten (L’Axe du bien) dénoncé comme » bushiste » et « néo-cons » dans la presse de gauche et même dans les colonnes de la très conservatrice Frankfurter Allgemeine Zeitung.
Même si ce livre a connu un relatif succès de librairie, son influence ne s’est pas exercée au-delà du public cultivé, alors que le pamphlet de Thilo Sarrazin fait un tabac dans toutes les couches de la population. Aujourd’hui, Broder prend la défense de Sarrazin : « Les réactions au livre de Sarrazin démontrent que les politiciens ont oublié que la démocratie ne vivait pas seulement avec des idées justes. Les idées justes font consensus et on a la paix. En revanche les idées fausses provoquent toujours un débat. Bien sûr, il existe aussi des idées fausses qui ne valent même pas la peine d’être contredites. Mais ce qu’écrit Sarrazin se situe à l’intérieur du spectre démocratique. Les tentatives de faire taire ou de discréditer Sarrazin ne provoqueront que l’émergence de nouveaux Sarrazin », écrit-il.
Soutenu par Bild Zeitung, quotidien populaire à grand tirage, ce dernier fait aujourd’hui figure de martyr de la liberté d’expression depuis qu’il a été poussé à démissionner de son poste doré (230 000 euros annuels) à la Bundesbank.
En dépit de ses excès et de ses généralisations abusives, le livre de Sarrazin lève la chape de plomb qui pesait sur ces sujets en Allemagne en raison de son passé. Le tabou de l’antisionisme avait été levé après la réunification. Les héritiers politiques des communistes de RDA, rebaptisés PDS (Parti du socialisme démocratique) démolissent systématiquement Israël comme le faisait, naguère, le SED d’Erich Honecker. Celui d’une critique de l’islamisme et de ses effets sur la société allemande est aujourd’hui en passe de l’être grâce à ce texte scandaleux, venu de là d’où on ne l’attendait pas.[/access]
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