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Les Roms, parias du Marché unique?


Les Roms, parias du Marché unique?
Photo: ge'shmally
Photo: ge'shmally

L’affaire des Roms, jusqu’ici traitée exclusivement sous l’angle politique au prétexte d’une dérive « sécuritaire » du gouvernement, devient désormais un problème juridique, depuis que la commissaire européenne Viviane Reding a sévèrement jugé la politique française, qualifiée de honteuse et de discriminatoire, voire, si on lit bien entre les lignes, d’une politique raciste comme on n’en avait pas vu depuis le IIIe Reich.

Sans surprise, Eric Zemmour s’est élevé hier matin dans sa chronique sur RTL contre cette commission qui prétend imposer sa logique d’un grand marché où tout doit circuler librement, contre toute velléité de souveraineté nationale.

Il semble cependant que le problème soit un peu plus complexe que le traditionnel débat souveraineté contre supranationalité car il pose la question spécifique des Roms, ce nouveau peuple paria pour lequel les règles élémentaires du droit ne seraient pas adaptées.

Les Etats sont parfaitement en droit de prononcer des mesures d’éloignement de ressortissants européens en cas de troubles à l’ordre public ou de ressources insuffisantes. Jusque-là, tout va bien pour le gouvernement français, du moins tant que les populations concernées sont contraintes à mendier pour survivre.
Le litige porte sur le caractère collectif des mesures d’éloignement, les expulsions devant toujours se faire au cas par cas, ce qui conduit évidemment les bonnes âmes à affirmer que les Roms sont expulsés au nom de leur appartenance ethnique.

Une logique européenne contradictoire

On comprend bien l’esprit du droit européen et sa logique. Cependant, que cache l’indignation de certains braves coeurs. Ainsi, Daniel Cohn-Bendit hier sur RTL reconnaissait que la France n’était pas le seul pays à être montré du doigt dans les cénacles européens. Il qualifiait l’attitude de l’Allemagne de « honteuse », parce qu’elle se prépare à expulser 12 000 Roms dont 5 000 enfants vers le Kossovo, où leur situation est « intenable ». Un argument qui fait d’ailleurs écho aux discours compassionnels souvent entendus cet été rappelant la situation des Roms en Roumanie et les terribles discriminations dont ils sont l’objet dans « leur » pays.

Les Roms bénéficieraient donc d’un droit collectif à émigrer de leurs pays d’origine pour échapper à une condition trop indigne, mais les pays d’accueil se verraient interdits de traiter ce phénomène migratoire de manière collective, sous peine de se rendre coupable de stigmatisation ou, pire, de discrimination à l’encontre de cette minorité. La contradiction est intenable.

Les Roms franchissent les frontières pour des raisons de discrimination en tant que communauté, s’installent dans des camps où ils vivent entre eux, se trouvent donc tous ensemble dans la même situation au regard du droit au séjour, mais l’Etat devrait traiter leur cas individuellement, comme s’ils étaient venus un par un ? Plus qu’une hypocrisie qui s’expliquerait par la bienpensance droit-de-l’hommiste du politiquement correct (ou plus exactement le paradigme individualiste-libéral qui est incapable d’appréhender la dimension collective des phénomènes sociaux) c’est le droit européen qui apparaît totalement inadapté au cas des Roms.

S’il s’agit effectivement de la migration massive de tout un peuple qui ne peut plus – ou ne veut plus – vivre où il était installé précédemment, on se trouve dans une situation qui rappelle davantage les grandes invasions de la fin de l’Empire Romain que d’un schéma migratoire classique. Quand il s’agit de Roms, il est donc techniquement impossible de faire « du cas par cas » en examinant la volonté de s’intégrer des personnes concernées, leur maitrise de la langue ou leur capacité à s’insérer professionnellement.

Une preuve de l’échec de l’élargissement

La commission européenne serait d’ailleurs bien inspirée de baisser le ton, car cette triste affaire met surtout en évidence le dramatique échec de l’élargissement. Le sort des populations Roms issues des Balkans est directement lié à l’entrée précipitée de la Bulgarie et de la Roumanie dans l’Union Européenne en 2007.

Le niveau de richesse par habitant des deux nouveaux entrants, de 30 à 50 % inférieur à celui des pays entrés en 2004, pouvait déjà laisser craindre un exode massif des populations plutôt qu’une arrivée en masse d’investissements productifs chez eux. Je m’étais même demandé à l’époque si le but de l’opération n’était pas surtout d’organiser un transfert massif de population pour apporter aux pays riches la main-d’œuvre dont on aurait pu penser qu’elle allait bientôt faire défaut.

La preuve est désormais apportée qu’un grand marché unifié où tout circule librement ne suffit pas à assurer le développement d’un pays pauvre. Elle démontre aussi avec éclat l’inexistence d’un « peuple européen » au sein duquel chaque « ressortissant de l’Union » pourrait librement évoluer tout en étant accueilli partout comme chez lui.

Trois mauvaises solutions

Face à la spécificité du problème Rom, il n’y a guère que trois possibilités, qui sont malheureusement toutes trois contraires au droit ou aux grands principes.

Il y a la solution européenne, celle dont Mme Reding veut assurer la promotion sous couvert de respect du droit, à savoir une soumission de la souveraineté nationale et des réactions populaires aux exigences de la libre circulation intra-européenne. La France devrait donc accepter ce flux de population au motif qu’il est juridiquement, moralement ou pratiquement impossible de l’endiguer. Elle devrait donc concrètement se résoudre de bonne grâce à assister à la renaissance de bidonvilles aux portes de ses villes et à prendre en charge socialement ces populations miséreuses. Cela est naturellement inacceptable, comme l’ont dit avec force Zemmour ou Nicolas Dupont-Aignan, dans une lettre ouverte à la Commissaire particulièrement enlevée.

Il y a la solution sarkozienne qui veut faire de la lutte contre cette immigration, déclarée illégale, le symbole de toute une politique de fermeté dite « sécuritaire », ce qui conduit à privilégier un traitement collectif de cette affaire. La circulaire tant décriée du ministère de l’Intérieur était, certes, particulièrement maladroite, mais elle avait sa logique. Elle ne faisait que traduire noir sur blanc le discours rabâché durant tout l’été par tous les ministres et les responsables de l’UMP. On connaît la fragilité de cette approche. Dans l’individualisme exacerbé de la France contemporaine, aucune communauté, qu’elle soit ethnique, religieuse ou même nationale, n’est censée exister. La citer c’est déjà « stigmatiser ». Lui réserver un traitement juridique particulier, c’est carrément raviver le souvenir « des heures les plus sombres de notre histoire »…

Il y a enfin la solution roumaine, à savoir une suspension du droit de ces ressortissants à circuler librement à l’intérieur de l’union européenne tant que ce pays n’aura pas réglé son problème de pression migratoire. Cette décision heurterait les principes européens, mais à choisir, il vaut mieux une petite entorse à quelques traités mal foutus et d’ores et déjà condamnés, que le retour des rafles, des camps de rétention et des trains spéciaux vers l’est… parce que le petit jeu du « je te donne 300 euros pour rentrer gentiment chez toi et tu reviens aussitôt », ne durera pas éternellement.

Tout cela pourrait assez vite dégénérer, surtout si, notre bienveillance aidant, le flux s’accélère, et surtout si la question des Roms fixe la tension qui oppose en permanence les tenants du « On ne peut rien faire » à ceux du « On ne peut pas laisser faire ». Les Roms risquent bien de faire les frais d’une forme de catharsis où se libèrerait les frustrations et les humiliations accumulées après trois décennies de lâchetés, d’abandons, de soumissions et pour finir, de déliquescence de ce que l’on appelait autrefois la République.



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