Il ne me reste pas assez de temps à vivre pour rattraper mes retards de lecture. Il y a tous les livres que je n’ai pas lus et tous ceux que j’aimerais relire. Pourtant, il m’arrive de passer des soirées entières devant la télé. Que Renaud Camus me pardonne mais certains soirs, quand j’entends le mot « culture », je sors ma télécommande et j’arpente le paysage audiovisuel en quête de plaisirs clinquants, bidons ou carrément bidonnés.
Je m’arrête souvent sur les reportages de flics. Sans bouger de mon canapé, par la caméra embarquée et la voix off, je participe à une enquête de police et, à la fin de l’émission, j’ai coffré des escrocs, des voleurs ou des assassins. Il faut beaucoup de patience pour suivre les planques et les filatures, des heures et des heures de travail pour accumuler des preuves, constituer des dossiers pour confondre les bandits alors que, même en floutant leurs visages, on voit au premier coup d’œil où passe la frontière entre le bien et le mal et qui sont les crapules. Un peu comme dans ces films de vengeance où le héros en prend plein la gueule pendant tout le film et, à la fin, châtie les méchants comme ils le méritent et même un peu plus, car, quand il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir. Je m’impatiente, mais j’exulte au moment des arrestations.
– « Bouge pas ! À plat ventre par terre ! Les mains dans le dos ! Ferme ta gueule !
– Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? C’est pas moi m’sieur, c’est pas d’ma faute !
– Ta gueule, on t’a dit ! Garde ça pour le juge ! »
[access capability= »lire_inedits »]Les dialogues manquent d’originalité, mais pourquoi chercher l’inédit quand on peut aller à l’essentiel ?
Puis viennent les interrogatoires, les aveux et la taule. Quand ça tourne mal, les voyous sont relâchés faute de preuves. Je m’endors alors en rêvant d’abus de pouvoir et de violences policières. J’imagine parfois des ordures qu’aucun Badinter ne pourra jamais réinsérer et que des policiers conscients de leur devoir décident de buter avant de les enterrer dans la forêt, épargnant à la société laborieuses palabres et dépenses inutiles.
Les soirs de chance, je tombe sur du catch féminin. Ces femelles fermement décidées à en découdre me fascinent. Je ne me fais pas trop d’illusions, je me doute que, dans la vie, ces filles sont normales : elles veulent qu’on les embrasse, qu’on n’oublie pas leur anniversaire et elles pleurent quand on les quitte, mais elles ont le bon goût de réserver ça à leur mari. Sur le ring, elles s’offrent à des millions de téléspectateurs en minishorts roses et bustiers au bord de l’explosion, distribuant manchettes et mandales. Je ne me lasse pas du spectacle de ces poupées Barbie bien en chair aux postures guerrières et, après les combats, je sombre dans le sommeil avec des envies de crêpage de chignon pour moi tout seul et de violences conjugales modérées et consenties.
Ploucs et chèvres douées de parole
Mais ma préférence va sans aucun doute aux émissions de célibataires. Elles sont nombreuses et variées, mettant en scène des ploucs à la recherche d’une chèvre douée de la parole − enfin dans les limites du supportable − ou de trentenaires chez qui l’horloge biologique est devenue une alarme assourdissante. Tous et toutes sont au bord du désespoir, revenus des aventures sans lendemain, cherchant chaussure à leur pied, couvercle à leur pot et autre âme sœur qui ne pourra toucher la marchandise qu’après avoir promis le mariage. On est prévenu d’entrée : pas sérieux s’abstenir !
Pour plaire avant la dernière ligne droite, les filles sont parfois tatouées et piercées de part en part, avec des seins en plastique et maquillées comme si elles sortaient des pompes funèbres mais rêvent de prince charmant et de mariage en blanc. Sous les décolletés et les jupes courtes, les peaux cuivrées sous les lampes dissimulent mal des âmes de mémères à la recherche de celui qu’elles ne tarderont pas à appeler « Papa » quand elles auront pondu leur œuf. Les émissions les rassemblent souvent en troupeaux dans des bars ou au bord de piscines pour qu’on les voie en maillot et, si ces poulaillers ambulants peuvent donner des envies de renard, on comprend vite en les entendant parler qu’il vaut mieux chasser des filles sauvages et farouches mais pas trop que cette volaille qui semble avoir été élevée loin de la nature des hommes. Ces grandes filles qui semblent n’avoir rien appris cherchent encore des garçons honnêtes, fidèles et pas menteurs. Leur besoin de se caser est si fort qu’elles semblent prêtes à se contenter de ceux-là et ça tombe bien, car, dans ce genre de programmes, il n’y a que ça.
Je sais, ce n’est pas très beau de rire du malheur des dindes, mais personne ne les a obligées à se mettre sur le marché de la séduction par le biais du télé-achat.
Pour séduire une femme, il faut être un homme
Les hommes qui s’inscrivent sur les listes des prétendants au mariage sans passer par la case « drague et sexe » sont loin des images que nous en donnent les chansons réalistes. Certains sont blonds et beaux et sentent peut-être le sable chaud, mais tous n’ont pas grand-chose d’autre à offrir qu’un cœur à prendre. Qu’ils cherchent un ventre pour y planter une famille ou une histoire d’amour qui dure, tous courent après un contrat, un serment, une garantie et des entraves avant même d’avoir joui. Tous veulent être rassurés sur la nature des intentions de leur future partenaire. Dans le flou, ils sont mal à l’aise et le mensonge leur fait horreur.
Les uns sortent d’un divorce qu’ils continuent de voir comme un échec là où tout homme normalement constitué savoure une libération et remettent leur sort et leur vie sexuelle entre les mains d’une fille un peu futée autoproclamée « coach » qui mettra plusieurs émissions à leur faire comprendre que, pour séduire une femme, il faut d’abord être un homme.
Les autres sont puceaux et sont passés de l’école d’ingénieurs au boulot d’ingénieur sans avoir vu le temps défiler et sans avoir pris le temps de prendre quelques femmes au passage. Timides et balourds, ils sont déjà du gibier avant même d’avoir rêvé d’être chasseurs. La première qui dira « oui » sera probablement la bonne et ils en rêvent en appelant ça « l’amour ».
Tout ce petit monde est fait pour s’entendre et je m’amuse au spectacle de ce que Deleuze nommait « cette sale petite manie de vouloir être aimé ». Quand je m’endors sur ces images, s’il m’arrive de rêver mariage, famille et amour-toujours, je demande qu’on me pince pour me ramener à une réalité chaotique, instable et pleine de surprises, où le goût que j’ai pris de la liberté et qui ne passera plus, comme un animal domestique qui a goûté au sang, ouvre à jamais le champ des possibles à 360 degrés. Mais ça, on ne le trouve pas à la télé ![/access]
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