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Hier, la fin du monde


Hier, la fin du monde
Régis Messac.
Régis Messac
Régis Messac.

On a un peu trop vite oublié qui était Régis Messac et on a tort. Il est, au plein sens du terme, un homme du vingtième siècle puisqu’il a vécu au coeur de sa monstrueuse brutalité, et en est mort. À 21 ans, en décembre 14, il prend une balle en pleine tête et il est trépané. Moins de deux décennies plus tard, déporté français Nacht und Nebel en septembre 43, on perd sa trace pendant les « marches de la mort », dans les premiers mois de 1945. La dernière fois qu’il aurait été vu vivant, c’est le 19 janvier de cette année-là, entre Dora et Bergen-Belsen. Et c’est un tribunal qui fixera arbitrairement, en 1946, une date fictive pour son décès : le 15 mai 1945.

Dès les années 1920, cet agrégé de lettres va être le premier en France à s’intéresser sous l’angle universitaire à ce qu’on appelle aujourd’hui les littératures de genre et soutient une thèse sur Le Detective Novel et l’influence de la pensée scientifique en 1929.

Régis Messac est aussi un militant syndicaliste sans concessions qui se battra toute sa vie pour une école davantage émancipée. Ce n’est pas un précurseur de la pensée pédagogiste qui n’est que la gestion hargneuse d’un désastre qu’elle a elle-même créé mais bien davantage le témoin d’une espérance libertaire qui s’exprimait alors dans des revues aux noms évocateurs comme Encre Rouge ou Les Humbles. Cette activité, et encore plus la publication d’un essai provocateur en 1933, À bas le latin !, lui vaut quelques ennuis dans sa carrière professorale et l’empêche de pouvoir enseigner à l’Université. Pacifiste d’extrême gauche acharné, Messac est rétif à des engagements dans les grands partis comme le PCF ou la SFIO. Mais contrairement à d’autres tenants du pacifisme intégral, il n’a aucune ambiguïté au moment de l’occupation et prend ses responsabilités en entrant dans la Résistance, où il aide notamment une filière qui exfiltre les futures proies du STO.

Comme tous les progressistes conséquents, Messac était d’un pessimisme noir. On oublie trop souvent que rêver d’un avenir radieux, c’est d’abord constater l’existence d’un présent insupportable ou atroce. C’est dans cette mesure que le progressiste et le réactionnaire sont des jumeaux en désespérance, à cette différence que pour le réactionnaire, c’est le passé qui est radieux. Pour surmonter ce paradoxe, Régis Messac avait trouvé dans la science-fiction, l’anticipation sociale et le récit post apocalyptique une véritable catharsis. Mais aussi, sans trop d’illusion, un moyen de prévenir ses lecteurs des dangers qui arrivaient en ces années trente où les totalitarismes donnaient le la et dessinaient les contours de ce que l’historien Eric Hobsbawm a appelé « l’âge des extrêmes ».

Écrit en 1935, Quinzinzinzili, que l’on réédite des temps-ci, est une fin du monde qui étonne par sa qualité de noirceur et sa désespérance métaphysique. Ceux qui ont aimé La Route de Cormac Mac Carthy comprendront de quoi il est question ici. Il y a toujours quelque chose d’un peu inquiétant à l’aptitude prophétique de ce genre de littérature : imaginer comme le fait Régis Messac en 1935 une guerre mondiale qui détruit le monde en se terminant par l’utilisation d’une arme absolue, c’est à la fois prévoir 39-45 mais aussi son achèvement atomique et le fait que cet achèvement rende de l’ordre du possible l’idée d’une destruction définitive de la civilisation : « Et partout, dans les vallées ou sur les sommets, dans les villages et dans les métropoles, dans les champs ombreux ou sur les plages étincelantes, le visage crispé, les mains à la gorge pour tenter d’élargir le passage de l’air -d’un air qui n’existait plus-, l’humanité mourut en ricanant. »

Il y a finalement, chez le « romancier populaire » Régis Messac, dans ce livre, les prémisses de ce qui sera la pensée du grand Gunther Anders sur cette question de la Bombe comme nouvelle épée de Damoclès pesant sur les corps mais aussi sur la pensée.

Quinzinzinzili a un titre impossible, et pour cause. C’est la déformation du Pater Noster et de son Qui es in coelis par un groupe d’enfants survivants dans quelques grottes de Lozère. Ils oublient presque tout du monde d’avant en quelques semaines et sombrent dans la stupidité, la pensée magique et la barbarie. Sans doute, le freudisme est-il passé par là. Avant Freud, quand des enfants se retrouvent seuls, naufragés sur une île déserte, cela donne Deux ans de vacances de Jules Verne, avec une harmonie spontanée dans la recréation d’une société policée et solidaire. L’enfant est un petit être plein de pureté, sans pulsions. Après Freud, sur le même sujet, cela donne Sa majesté des mouches de Golding, roman mettant en scène l’incroyable aptitude à la sauvagerie de nos chères têtes blondes quand elles sont livrées à elle-même.

Le narrateur de Quinzinzinzili est le précepteur de deux des enfants survivants. Il assiste, tantôt avec une impuissance déprimée, tantôt avec une joie mauvaise, à cette désagrégation de l’humanité ancienne au travers de la violence de ces moutards crasseux. Son refus d’intervenir pour les aider, de leur indiquer comment se servir d’un fusil ou d’une boîte d’allumettes trouvées par hasard lors d’expéditions menées dans des paysages dévastés, cache une haine de toute une société qui a permis cette régression sans précédent, notamment dans le langage des enfants dont il fait une étude détaillée. Ce n’est évidemment pas Messac qui parle ainsi mais un double que trop de désespoir aurait rendu définitivement cynique : « Je réentends des discours d’hommes politiques, -ah combien futiles… Sécurité, désarmement, ha, ha, ha!…Pactes, responsabilités, traité de Versailles, race aryenne…ha, ha, ha…Puis je tiens à nouveau dans mes bras la souple Elena, avec sa robe bleue à reflets électriques; je dîne au Ritz, en smoking, je revisite des expositions futuristes…Futuristes! ha, ha, ha, il était beau le futur ! « 

Quelques morceaux de bravoure comme la description de la ville de Lyon totalement recouverte d’une carapace limoneuse devraient achever de convaincre le lecteur de deux choses : Messac est un grand écrivain de la cruauté avec un style très plastique, très visuel, qui n’a pas vieilli mais il est aussi à lui seul une contradiction magnifique, un paradoxe vivant, un écartèlement constant entre la foi dans une humanité meilleure et le constat de sa redoutable aptitude au carnage.

Autant dire que Quinzinzinzili est tout sauf une curiosa rétro et que Régis Messac est un écrivain scandaleusement oublié. À moins qu’il faille dire « opportunément oublié » tant l’époque semble à nouveau donner raison à ses pires cauchemars.

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