J’ai regardé attentivement, le 25 mars, la conférence de presse de Dominique de Villepin. Contrairement à mes amis Aimée Joubert et Marc Cohen, je ne suis pas conquis.
Cela s’annonçait pourtant bien : certains de ses proches parlaient d’un mouvement d’inspiration républicaine allant de Debout la République au Mouvement républicain et citoyen. Alors, certes, Dominique de Villepin a, lors de cette conférence de presse, exprimé son malaise devant la politique de Nicolas Sarkozy, se plaçant ipso facto dans l’opposition. Certes, il a eu une allusion au Conseil national de la résistance et au Pacte républicain qui en résulta. Certes, il a exprimé un mea culpa salutaire à propos de sa trop grande dilection pour la souplesse du marché de travail lorsqu’il était premier ministre. Il a aussi mis en cause le bouclier fiscal à 50 % et proposé une tranche supérieure supplémentaire pour l’impôt sur le revenu, ce qui va à l’encontre de la politique qu’il a menée sous Jacques Chirac.
Pourtant, même si Dominique de Villepin a utilisé une phraséologie et a construit le plan de son discours sur la base de la République, de la Nation et de l’État, ce qui m’a rappelé certaines entrées en matière de Philippe Séguin, il ne m’a pas convaincu.
[access capability= »lire_inedits »]Franchement, lorsqu’il a évoqué la Justice et l’ardente nécessité de se conformer aux canons européens pour rompre le lien entre Parquet et pouvoir politique, lorsqu’il a parlé en termes exagérés de la nouvelle manière de nommer les dirigeants de l’audiovisuel public, lorsqu’il a fustigé le débat sur l’identité nationale forcément générateur de stigmatisation et de division, j’ai bien cru que son grand ami Edwy Plenel avait participé à la rédaction du discours. Et si ce n’était pas le cas, je trouve que c’était bien imité. Il exalte la République et, dans la même phrase, met en garde contre la tentation de « montrer du doigt une communauté ». Si le directeur de Médiapart n’a pas participé à la construction de ce discours, c’est encore plus inquiétant car cela signifie que les marottes plénéliennes ont tellement intégré le cerveau de Villepin que ce dernier peut faire du plénélisme sans le savoir. En tout cas, il a consacré au moins un tiers de son intervention à les développer.
Non pas qu’il faille considérer que l’explosion du nombre de gardes à vue ou la remise en cause de notre système de procédure pénale[1. Même si, en la matière, j’attendais davantage Villepin sur la défense de notre système inquisitorial par fidélité au fameux modèle français plutôt que sur l’alignement sur le modèle anglo-saxon.] ne posent pas de problèmes en soi. Mais, aussi intéressants soient-ils, ces thèmes ne figurent pas parmi les priorités des Français, et en particulier des couches populaires en recherche d’une alternative à Nicolas Sarkozy, si l’on veut bien considérer qu’une partie d’entre eux excluent de voter un jour pour une gauche coupable à leurs yeux d’angélisme en matière de sécurité et d’immigration.
Fin 2006, il semblait intéressé par les thèmes développés par l’économiste Hakim El-Karoui et par Emmanuel Todd sur la nécessité de promouvoir un protectionnisme européen. Au point, nous a confié ce dernier, d’envisager une candidature présidentielle basée sur cette thématique[2. Notons au passage que cette candidature aurait privé Nicolas Sarkozy de l’oxygène que lui apportait Henri Guaino, qui pouvait ainsi truffer les discours de l’actuel président de références à la protection communautaire, et de sa nécessité dans un contexte de délocalisations et de désindustrialisation.]. Plus rien de tout ça dans l’intervention de Dominique de Villepin. Alors qu’il aurait pu être précurseur en 2007, il a gommé toute tentation de recours aux solutions protectionnistes, lesquelles ont pourtant progressé dans la société française au point que Nicolas Sarkozy les évoque souvent, que Ségolène Royal les étudie, que François Bayrou ne les rejette plus d’un revers de main, que Benoît Hamon est devenu porte-parole du Parti socialiste ou que Marine Le Pen fasse campagne sur ce thème dans le Nord et laisse immigration et islam à sa concurrente de l’UMP. Dans son discours, il préconise en la matière de « concentrer nos moyens sur les secteurs d’avenir, sur l’innovation ». Pascal Lamy ou Jean Peyrelevade n’auraient pas mieux dit.
Dès lors, il faut s’interroger sur le positionnement du futur parti de Villepin. Ne remettant pas en cause ni la construction actuelle de l’Europe, ni le libre-échange, préconisant davantage de justice fiscale et sociale pour rendre ce contexte acceptable, il se situe dans la droite ligne de la candidature Bayrou de 2007 prenant acte (prématurément ?) de la disparition du candidat centriste dans l’espace politique. Après tout, ce dernier n’avait pas été loin de réussir son pari en réunissant 19 % des suffrages. Mais la situation sera différente en 2012. D’abord, Bayrou n’a pas renoncé et les politologues s’accordent à dire qu’il faut dissocier son équation personnelle des piètres prestations du MoDem lors des scrutins locaux. Ensuite, Ségolène Royal va être conduite à « centriser » son positionnement si, étouffée par la montée en puissance de sa copine Martine, elle se porte candidate hors du Parti socialiste[3. À moins qu’elle ne finisse par épouser les idées protectionnistes et déborde Aubry par la gauche, ce qui serait génial et donc improbable.]. Villepin, Royal, Bayrou se bousculent donc dans cet espace politique rendu d’autant plus étroit que ni Sarkozy ni Aubry ne sont décidés pour l’heure à remettre en cause l’orthodoxie libre-échangiste et européiste.
Dominique de Villepin peut penser qu’il incarne davantage le renouveau qu’un Bayrou carbonisé et qu’il est meilleur orateur que Ségolène Royal, ce qui n’est guère difficile. Ce ne serait pas faux. Mais on ne voit vraiment pas en quoi il s’agirait d’une candidature gaulliste. On me dira qu’il a fustigé la politique étrangère d’alignement sur l’OTAN du président de la République. Certes, mais outre qu’il a attendu une question de journaliste pour l’évoquer, on ne l’a pas entendu affirmer qu’il faudrait à nouveau quitter le commandement intégré, ce qui aurait pourtant été un signe fort.
Ne soyons pas dupes : ce discours fait des heureux. Si Villepin est souvent invité chez Denisot, à Canal+, c’est qu’il plaît aux médias et aux élites. Alors, certes, ce ne sera pas avec Minc ni Colombani, mais ce sera avec Plenel qui, ne lui en déplaise, ne constitue que l’autre face d’une même médaille libéralo-mondialisée. Aussi, dans un élan de générosité, proposé-je le nom du futur parti villepiniste : Médiapart(i).[/access]
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