Le phénomène est courant. Il a généralement à voir avec des processus psychologiques élémentaires, des pulsions nées d’une expérience, d’un vécu partagé parfois douloureux, qui incitent à se rapprocher les uns des autres, à s’unir face à un ennemi commun, voire se réconcilier après une longue dispute. C’est ainsi que nous pouvons comprendre la volonté récemment affichée du Hamas et du Fatah de se réconcilier rapidement.
L’on aurait pu croire que les grandes difficultés que connaissent les Palestiniens, la misère de leur quotidien dans la bande de Gaza, les entraves à la liberté de circulation en Cisjordanie, l’impossible ouverture sur le monde en raison des blocus qui leurs sont imposés, l’accès si compliqué à des soins, j’en passe, la liste est longue, l’on aurait pu croire donc, que ce contexte pesant contribuerait à apaiser les tensions inter-palestiniennes, favoriser le rapprochement de ceux qui soutiennent le Hamas et des sympathisants du Fatah, le mouvement de Yasser Arafat dirigé aujourd’hui par Mahmoud Abbas. Mais en dépit des efforts intéressés de l’Egypte, peu enthousiasmée par la proximité de ce voisin remuant, émanation directe des Frères musulmans honnis par le Caire, rien n’a pu apaiser la grande discorde dont le point culminant fut la rupture de l’été 2007, le coup de force du Hamas qui entraina sa prise de contrôle de la bande de Gaza et l’éviction du Fatah de ce territoire.
Pas de soulèvement palestinien mais une réconciliation à l’horizon ?
Et pourtant une réconciliation semble se profiler à l’horizon. L’un des effets inattendus du fiasco de la flottille, encore elle, semble être aujourd’hui d’avoir titillé la corde de la solidarité palestinienne face à Israël. L’incident continue de faire des vagues au Proche-Orient, dans les chancelleries, dans les couloirs et salles de réunion des Nations Unies qui poussent toujours à la mise en place d’une commission d’enquête indépendante, autrement dit pas israélienne. C’est aussi ce qu’attendent les experts, ceux-là mêmes qui pressentaient un soulèvement massif palestinien à la suite de cette affaire, un soulèvement qui peine à démarrer. À croire que ces mêmes experts, qui se rangent dans la catégorie de certains oiseaux et annoncent le pire à la moindre occasion, ont soif d’actions, voire de violences qui permettraient de remettre les gentils et les méchants à leur places respectives et de se livrer à des analyses en noir et blanc, les meilleures, les mieux comprises et les plus faciles à écrire. Ne me reconnaissant pas comme membre de cette communauté de savants, il m’est donc plus aisé de jouer de temps en temps avec ma boule de cristal, tout en rappelant ici que cet outil a une tendance perverse à se détraquer au moment le plus inattendu. Je me permets donc de relever quelques indices qui laissent présager d’une nouvelle page dans les relations entre l’Autorité palestinienne et le Hamas.
La main tendue de Mahmoud Abbas
Le dernier en date fait référence à la promesse faite il y a quelques jours par Mahmoud Abbas d’envoyer une délégation de l’Autorité palestinienne à Gaza en vue d’une telle réconciliation, une annonce formulée dans la foulée du raid israélien sur la flottille turco-humanitaire qu’il n’avait pas hésité à qualifier de « massacre » (bilan officiel : 9 tués). S’en est suivi un appel sans équivoque du même Abbas adressé peu après de Sharm el Cheikh au Hamas afin de l’encourager à signer un projet égyptien de rapprochement, une étape incontournable vers la mise en place d’un gouvernement de transition, du jamais vu ni entendu depuis trois ans. « Si le document est accepté, nous sommes prêts à former un gouvernement de transition ou un gouvernement de techniciens ou d’indépendants pour superviser plusieurs questions, notamment la réception de fonds pour la reconstruction » de la bande de Gaza, a généreusement assuré le président de l’Autorité palestinienne. Le document en question avait été discuté l’an dernier durant plusieurs mois entre des délégations des deux bords sous les auspices de l’Egypte, mais n’avait été accepté que par le Fatah, ce qui avait fait capoter le processus de rapprochement. Il prévoyait notamment la tenue d’élections présidentielles et législatives en 2010, la restructuration des forces de sécurité palestiniennes sous la supervision des Egyptiens, ainsi que la libération de détenus des deux mouvements en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.
Nabil Chaath, un proche d’Abbas, ancien négociateur avec les Israéliens et membre du Comité central du Fatah, a déjà été envoyé en éclaireur en février dernier à Gaza pour y rencontrer le chef du gouvernement Hamas, Ismaïl Haniyeh. La chaleur de l’accueil offert à cet enfant du pays — Chaath est natif de Khan Younes, dans le sud de la bande de Gaza — avait été perçue comme un incontestable signe du dégel des relations entre les deux mouvements palestiniens.
Autre indice d’une réconciliation bien engagée : l’implication nouvelle de la Turquie qui se pose décidemment comme une pièce maîtresse du puzzle proche-oriental. Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, qui n’en rate pas une pour fustiger Israël, multiplie les contacts avec le Hamas dans une volonté claire de lever l’ostracisme sur ce mouvement mis au ban de l’Occident au même titre que le Hezbollah et Al-Qaïda. Le responsable turc vient de se dire investi par les Islamistes de Gaza de l’autorité nécessaire pour « résoudre le problème » avec le Fatah. Et d’ajouter : « Dire que le Fatah est une organisation avec laquelle on peut discuter et le Hamas une organisation terroriste, est une grave erreur ».
Des maisons palestiniennes détruites sur ordre du Hamas
Du coup, Khaled Meshaal, le patron du Hamas à Damas, se met lui aussi à rêver d’une fin l’isolement dans lequel se trouve son organisation depuis son coup de force de 2007, isolement qui a entrainé une détérioration des conditions de vie dans la bande de Gaza, des difficultés dans le financement de ses institutions caritatives et de ses groupes armés. Le Hamas a aussi de plus en plus de mal à cacher sa nervosité à Gaza et multiplie les décisions impopulaires, notamment la destruction au bulldozer de 20 maisons construites « illégalement » à Rafah, dans le sud du territoire, qui a eu pour effet de jeter 150 Palestiniens à la rue sans soulever le moindre tollé international. Les locataires réfractaires, femmes et enfants compris, ont été trainés hors de chez eux, et beaucoup d’entre eux sévèrement passés à tabac à coups de bâton. Près de 200 autres maisons sont sur les rangs. Pour rajouter à cette tension, le Hamas n’a rien trouvé de mieux que d’interdire les fêtes, notamment les mariages, après 22h00 … pour permettre aux étudiants de réviser leur bac.
Meshaal, pressé de se refaire une virginité, évoque ainsi « les étapes finales » atteintes avant la réconciliation avec le Fatah ne paraît pas moins pressé de tourner rapidement cette page douloureuse. Abbas sait en effet que le temps joue contre lui et qu’Européens et Américains commencent à s’impatienter face à la paralysie des pourparlers avec Israël et à l’incapacité de s’entendre sur la création d’un Etat pour les Palestiniens. Et sans réconciliation, Abbas sait parfaitement qu’il ne pourra négocier avec Israël au nom de tous les siens. Reste à savoir ce que le Hamas va exiger en échange de ce rapprochement et si sa volonté de « poursuivre la résistance par tous les moyens » contre Israël est compatible avec la conclusion d’un accord de paix avec ce pays.
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