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Les femmes et les enfants d’abord


Les femmes et les enfants d’abord

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Revoilà la bête immonde, mais pas celle que vous croyez. Pas de chemises brunes défilant au pas de l’oie. Cette fois-ci, elle est en chacun de nous. En vrai, en chacun de vous, les mecs. Même quand elle meurt, elle ne se rend pas – raison pour laquelle un criminel sexuel à peu près impuissant demande qu’on la lui coupe.

Bonne fille, l’actualité vient rappeler à nos esprits oublieux que le danger rôde. Les quelques semaines qui viennent de s’écouler ont été généreuses en « affaires ». Qu’y a-t-il de commun entre le crime de Polanski, la faute de Frédéric Mitterrand, le débat sur la castration chimique et la gracieuse idée du Garde des sceaux de réfléchir à la possibilité de recourir à la castration physique – entre adultes consentants bien sûr ? Vous y êtes. Tout ça se passe en dessous de la ceinture. Autrement dit, dans le passé le plus sombre de l’humanité. Parce que le sexe, c’est réac, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle il faut s’en débarrasser urgemment.

[access capability= »lire_inedits »]Le message est clair. Le sexe tue. Surtout, celui des hommes qui se trouve ainsi être à la fois l’arme et le mobile du crime. La preuve, c’est qu’il s’en prend d’abord aux femmes et aux enfants. Je sais, il y a aussi les hommes et les hommes et les femmes et les femmes ; mais quelles que soient les « pratiques sexuelles » comme disent les sondeurs, la sexualité n’en est pas moins anthropologiquement fondée sur la division sexuelle, autrement dit sur la rencontre et sur son impossibilité. Et comme l’a fort bien analysé mon cher Philippe Muray, l’Histoire aussi.

On me dira que ce n’est pas très nouveau et qu’on savait depuis longtemps que c’était mal. Durant des millénaires, en gros, d’Adam et Eve aux années 1960, ce fut même l’un des intérêts de la chose. C’était mal mais c’était bon, et un peu bon aussi parce que c’était mal. Puis on décida de se délivrer des tourments et, par la même occasion, des délices de la culpabilité et du négatif. Le sexe devint innocent, égalitaire et, par-dessus tout, libre. Quand je veux, si je veux : on en avait fini avec les pulsions destructrices ou autodestructrices, la domination, la folie amoureuse. On en avait fini au passage avec le désir et sa mort programmée – donc avec la mort. Ce faisant, on en finissait avec la vie elle-même. Les hommes et les femmes (voir plus haut) enfin réconciliés s’entendraient désormais sur la base raisonnable et contractuelle du plaisir équitablement partagé. Après coup, on s’aperçut que la libération était devenue libéralisation et on trouva que ce n’était pas plus mal. Délivrée des chichis de la libido, de ses tours de salope et de ses coups de sang, protégée d’elle-même, l’humanité allait enterrer en même temps la guerre, le clivage, le ratage et retrouver son innocence perdue. Comme l’écrit brillamment Bruno Maillé, la meute est innocente. C’est ce qui fait sa force.

L’opération a parfaitement réussi. Il n’y a plus ni hommes ni femmes, nous sommes tous Enis, l’enfant martyrisé par un prédateur. Ou alors Francis Evrard. Victime ou bourreau, rien entre les deux.

Il est tentant de voir dans cette ambiance plombée la manifestation du retour de bâton (backlash) que les féministes appellent de leurs vœux depuis vingt ans, en vain d’ailleurs. Désolée, pas d’ordre moral en vue. À quoi diable servirait la morale dans un monde délivré du mal ? Enfance pour tous : le programme qui est en cours d’accomplissement n’est pas un retour en arrière mais au contraire un grand bond en avant. On croyait que le sexe libéré dans la grande fusion des genres et des corps était le comble du moderne, et le voilà détrôné par plus moderne encore. (« Moderne contre Moderne », Muray, une fois de plus, avait inventé tout ce qui arrive). Nous n’accostons pas sur les rives du Paradis perdu mais sur d’inviolés rivages sans sexualité. Il est déjà permis de rêver à l’avenir radieux où l’on n’aura plus besoin de castrer les mâles parce qu’ils auront applaudi à leur castration − pas symbolique, réelle, ainsi que l’observe Alexandre Livier.

D’accord, je mets tout dans le même sac, mais c’est l’époque qui met tout dans le même sac. Florentin Piffard a raison : on dirait que s’instaure, dans l’esprit public, une continuité entre sexe consenti et sexe subi, érotisme adulte et pédophilie. « Tu justifies un viol », m’a dit un ami, la voix vaguement tremblante, alors que je plaidais la cause de Polanski, maladroitement sans doute. Dès que l’on essaie d’imaginer la scène au cours de laquelle le cinéaste a eu, il y a plus de trente ans « des relations sexuelles illicites avec une mineure », les mots sonnent faux ou même dégueulasses. « C’est ça, dis qu’elle l’a cherché. » Non, ce n’est pas ça. Mais peut-on rappeler que le désir d’un homme sexuellement actif pour une femme, fût-elle encore aussi une enfant, qui pose devant lui, nue dans un jacuzzi, n’est pas en lui-même criminel et que, pour condamnable qu’il soit, le passage à l’acte mérite peut-être des circonstances atténuantes ? Ce à quoi il faut ajouter qu’il est tombé dans un véritable piège judiciaire, comme l’explique Sylvie Topaloff.

Un mot sur la jurisprudence Mitterrand. Quelques semaines après sa nomination, sa défense ratée de Polanski a rappelé aux fins limiers de la grande presse que, dans une autre vie, le ministre allait aux putes. Ces putes étaient des hommes, mais soyons honnête, ce n’est pas ça qui a posé problème. Non, le scandale est qu’il y allait en Thaïlande, là où les corps sont lisses et disponibles. On appelle ça « tourisme sexuel » en raison de la différence de pouvoir d’achat – et de pouvoir tout court. On achète des cuirs en Italie, des écrans plats fabriqués à bas coût et au mépris des droits du travailleur − sinon de l’homme ou de l’enfant − en Chine au supermarché du coin et du sexe en Asie. En vrai, pour Frédéric Mitterrand, l’argument économique n’est guère probant car j’imagine qu’il aurait pu s’offrir à Paris toutes sortes de ressources érotiques tarifées. Quoi qu’il en soit, il a eu recours à la prostitution. En France, ce n’est pas interdit, mais ailleurs, oui (pour les Français). À l’exception du crime contre l’humanité, c’est, me semble-t-il, l’un des rares délits commis hors du territoire pour lequel on puisse être poursuivi par la justice française.

On peut se demander ce qui, en dehors de l’affaire Jean Sarkozy et de ses réseaux, d’autant plus efficaces qu’ils sont fondés sur le fait qu’il est visiblement un « type bien », a sauvé le soldat Mitterrand. La réponse est simple : il a publiquement fait acte de contrition. D’ailleurs, chez lui, le repentir est inscrit dans l’acte : il y a un côté catho torturé chez cet homosexuel tourmenté. Frédéric Mitterrand n’est jamais entré dans le monde enchanté du sexe sans risque et sans douleur. À le lire, on sent que, pour lui, le plaisir et la honte restent indissolublement liés. Il est un homme du vieux monde, c’est son charme.

Et puis, il y a le peuple qui, note Luc Rosenzweig, en a marre de voir les élites s’affranchir de la morale commune. Le peuple prêt, nous dit-on, à se rassembler en place de Grève pour assister à la castration de ceux qui font du mal aux divins enfants. En vérité, on ne sait jamais très bien, dans ce que pense le peuple, ce qui lui a été inspiré par le concert des médias, experts et sondeurs. Et puis tant pis si je ne suis pas d’accord avec le peuple.

Nous croyons édifier une humanité sans crime, nous inventons une humanité sans hommes. Bienvenue dans l’ère des coupeuses de testicules, qui sont parfois des hommes, et des casseurs de couilles qui sont souvent des femmes, et plus encore des mères. L’âge des gonzesses arrive, ou pire encore, le règne des mamans. Fini de rigoler.[/access]

Novembre 2009 · N°17

Article extrait du Magazine Causeur



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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