Depuis le lancement de l’initiative Gerin, on sent bien que le Camp du Bien tortille un peu du bas des reins. Que le gotha de la gauche officielle cherche comment dire, sans trop le dire, que ce combat est malvenu. Le seul fait que ces gens peinent à trouver leurs mots est déjà, en soi, une victoire. Il y a dans ce pays un je-ne-sais-quoi de frétillant dans l’air qui rend plus difficile, sur ce coup-là, le reniement coutumier des fondamentaux de gauche tels que nous les avaient enseignés nos papas et nos mamans, parfois neuneus, souvent utiles. Entre autres, le refus des fanatismes religieux et d’un de leurs corollaires les plus constants : la volonté d’abaisser publiquement les femmes. De la décroissance à la délinquance, on a connu les starlettes du PS, du PC ou du NPA plus hardies à retourner notre doxa comme une crêpe Suzette.
[access capability= »lire_inedits »]Cette difficulté qu’éprouve la gauche légale à entonner tout de go la même chanson que les barbus – ce qu’elle a su faire sans états d’âme majeurs au moment de Gaza –, doit être tout d’abord portée au crédit politique d’André Gerin. Sa manœuvre est un mélange réjouissant de pragmatisme léniniste et de bons sens français.
De Vladimir Ilitch, il a retenu le dédain pour le maximalisme verbeux et la recherche obstinée, façon Giap, du maillon le plus faible dans le dispositif adverse, d’où le ciblage de la burqa plutôt que du tchador et, a fortiori, du voile ou de l’islamisme en général.
Du bon sens, il en fallait pour faire vivre l’idée qu’une petite avancée vaut mieux qu’une héroïque déculottée. Pas de splendide projet de loi mort-né, pas de pétition grandiloquente en appelant aux mânes de Voltaire et d’Hugo. Rien que des parlementaires – et des deux camps, en plus ! − qui disent qu’ils veulent juste en savoir plus et demandent une banale commission d’enquête.
Rien qu’une petite commission d’enquête. Pas de « On veut dénoncer ! », habituel prélude tartarinesque à un « On va voir ce qu’on ne va pas voir… », mais un minuscule « On veut savoir, s’il vous plaît… » Pas de quoi réveiller les morts, donc. Eh bien si. Et même quelques vivants, parmi lesquels le président de la République, obligé de marquer le coup à Versailles. Il y a critiqué la burqa dans des termes fort peu oulémo-compatibles, tout en préservant l’essentiel en se gardant bien de formuler l’ombre d’une proposition concrète : bref, il a choisi l’option exactement inverse à celle de Gerin. Et c’est normal : sur cette affaire, le président est, autant que tous les autres présidentiables, dans le camp adverse, tous craignant bien trop fort d’être stigmatisés comme islamophobes quand 2012 aura sonné.
Comme nous l’avons déjà écrit, il n’y aura donc pas de sitôt une loi anti-burqa. Ni même peut-être de débat parlementaire ou de véritable commission d’enquête. Mais on s’en fout ! L’essentiel est ailleurs, est énorme, et est déjà acté : il y a eu un débat public et populaire sur la question, que personne ne peut plus endiguer d’autorité en arguant qu’on n’a pas le droit de parler comme ça, ni même de parler de ça. Le Camp du Bien l’a pris là où ça fait mal, et ça nous fait du bien. Un débat sur les questions « sociétales » où la parole se libère, ou le réel s’échappe de nos cénacles de mal-pensants et se promène à poil dans la rue, c’était, depuis des lustres, du jamais vu. Et Le Monde peut bien balancer ses fatwas, il ne fait plus peur qu’à lui-même et nous fait rigoler au passage avec son édito du 27 juin : « Au nom de quel argument ou de quel principe interdire à des femmes majeures une tenue vestimentaire, quelle qu’elle soit, dans l’espace public, sauf à confondre le législateur français avec une assemblée d’oulémas ? (…) Sauf à imaginer une détestable ou ridicule police des mœurs, comment appliquer une telle interdiction, si le choix en était fait ? Beaucoup plaident avec énergie pour un islam moderne et tolérant. Ils ont raison. Il faut convaincre plutôt que légiférer. »
Le vrai cri de détresse du Monde et de quelques autres consiste à nous accuser de vouloir faire la police, parce que, cette fois-là, on ne les a pas laissé faire la police. Comme l’écrivait il y a six mois Elisabeth la prophétesse, ça craque dans le Camp du Bien, champagne ! D’ailleurs, tant qu’à faire, nous préférons la police des mœurs à celle de la pensée. Des mœurs policées, c’est-à-dire civilisées, vous trouvez ça ringard ?
Ce débat − certains diront ce déballage − en appelle d’autres. Vous en voulez, des sujets qui fâchent ? Y’a qu’à se baisser. Par exemple, si au lieu de se planquer derrière de louables questions de bioéthique, on causait vraiment de la question de l’homoparentalité et de l’adoption par des couples de même sexe ? Pareil, allez hop, la drogue, le shit, l’herbe quoi ! Et puis aussi les embryons congelés contre leur gré, les petits vieux qu’on veut forcer à mourir dans la dignité. Sans oublier la régularisation des sans-papiers. Depuis toujours, on se planque derrière le droit, supposé irréfragable, des migrants à s’installer où ils veulent et où ils peuvent. Si on commençait simplement à parler du vrai sujet, c’est-à-dire du regroupement familial, si on demandait simplement des chiffres fiables, si l’on s’interrogeait, sereinement, quant aux conséquences sur l’école, les quartiers et tutti quanti ?
On n’est pas méchants, on veut juste savoir…. Faut pas nous lancer, parce que des idées façon Gerin, on va en trouver. À nous d’être non seulement obstinés, mais aussi modestes et malins.[/access]
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !