Il est toujours réjouissant d’entendre, chaque matin, Bernard Guetta pérorer sur France-Inter. Les jours pairs, il chante les louanges de Barack Obama et de sa géniale politique extérieure qui va instaurer cette paix perpétuelle chère au vieux sage de Koenigsberg (aujourd’hui Kaliningrad). Les jours impairs, il entonne son couplet à la gloire d’une Union européenne qui avance dans les crises selon le principe nietzschéen estimant que tout ce qui ne la tue pas la rend plus forte.
Bernard Guetta, de l’europtismisme à l’euroblues
Jeudi 6 mai, alors que la fine équipe de Demorand devisait aimablement avec Jacques Attali, l’excellent Bernard laissa cependant filtrer un léger sentiment d’angoisse sur l’avenir de l’UE et de sa capacité à sortir de la crise actuelle par le haut, c’est-à-dire dotée d’un « gouvernement économique de la zone euro », bel euphémisme désignant une férule germanique sur les pays concernés. Il voulait se rassurer auprès de Jacques le fataliste sur la volonté conjointe de Nicolas Sarkozy et d’Angela Merkel de prendre les choses en main, pour le plus grand bien de la construction européenne, comme le firent jadis François Mitterrand et Helmut Kohl, aidés de leur complice Jacques Delors. La réponse d’Attali aurait pu faire de ce dernier un natif du Calvados tant elle fut prudente et circonspecte… Le lendemain, au vu des incertitudes issues des élections britanniques et du flop de la déclaration commune Merkel-Sarkozy, Bernard Guetta ne pouvait faire autrement que de constater que l’Europe était bel et bien dans l’ornière, et qu’il ne voyait pas à l’horizon de bourrin politique capable de l’en sortir. Cela avait l’air de le peiner considérablement, mais ne l’incitait nullement à s’excuser pour les prophéties hasardeuses formulées par lui quelques jours auparavant…Mais gageons que bientôt reviendront chez lui les bons reflexes europtimismes et obamaniaques, qui sont sa marque de fabrique de barde du mainstream en politique internationale.
La Hongrie entre FMI et nationalisme
Pendant ce temps-là, il survient, sur notre continent quelques événements dont M.Guetta a bien raison de ne pas entretenir ses auditeurs fidèles, vu que cela risquerait de leur casser le moral pour la journée, et de provoquer de surcroît, une dépression grave chez le géopoliticien chroniqueur matinal.
On a, par exemple, bien vite détourné le regard d’une Hongrie où le Jobbik, un parti ouvertement fasciste et antisémite a fait son entrée au parlement, ce qui est déjà regrettable, mais où le grand vainqueur du scrutin, le Fidesz de Viktor Orban ne vaut guère mieux. Ce parti de la droite cléricale et populiste a en effet obtenu les deux tiers des sièges au parlement, ce qui lui permet de modifier à son gré la constitution magyare. Comme ce gouvernement doit gérer une situation économique désastreuse – le pays, en faillite, est passé sous la tutelle du FMI et de l’UE en 2008 – il peut être tenté de faire vibrer la corde nationaliste. Or, celle-ci est fort sensible dans un pays qui s’estime, depuis un siècle, victime de l’Histoire, en ayant dû, après la première guerre mondiale abandonner à des pays voisins, Roumanie, Slovaquie et Serbie des régions peuplées en majorité de magyars. Pour entrer dans l’UE après la chute du communisme, Budapest avait mis une sourdine à ses revendications concernant le statut de ces minorités, mais cette question refait maintenant surface, causant notamment des frictions avec la Slovaquie où les Hongrois, qui constituent 10% de la population, subissent de multiples vexations. On prête à Viktor Orban le projet d’accorder automatiquement la nationalité hongroise et le droit de vote aux magyars de l’extérieur, une idée qui devrait être modérément appréciée à Bratislava, Bucarest et Belgrade. Les talents de négociateur de M. Herman Van Rompuy, l’ectoplasmique président du Conseil européen, vont pouvoir s’employer à plein, sous les encouragements de Bernard Guetta.
Belgique : la fin est proche
Cela nous amène à la Belgique, où les dernières péripéties de l’affrontement entre Flamands et Francophones[1. On emploiera ici la majuscule pour désigner l’ensemble des Belges wallons et Bruxellois pratiquant notre langue, mais constituant des entités politiques et culturelles distinctes.] ont encore provoqué la chute du gouvernement et la convocation de nouvelles élections. Celles-ci devraient voir les mouvements autonomistes et indépendantistes flamands monter et puissance et les partis dits « traditionnels » de Flandre faire assaut de surenchères nationalistes pour ne pas perdre trop d’électeurs. Ironie de l’Histoire, c’est l’Open VLD, le parti flamand le moins porté, jusque-là à faire monter la tension communautaire, qui a provoqué la crise en prétextant le retard pris dans les négociations pour la division de l’arrondissement électoral et judiciaire de Bruxelles-Hal-Vilvorde, dit BHV[2. La division de BHV est une revendication majeure des Flamands, rejetée par des Francophones, car elle ôterait aux habitants parlant le français et résidant dans la périphérie flamande de Bruxelles la possibilité de voter pour des partis francophones.]. C’est le parti de l’ancien Premier ministre Guy Verhofstadt, aujourd’hui président du groupe libéral du parlement européen, qui s’était récemment mis en colère contre la France de Sarkozy à propos du défunt débat sur l’identité nationale…En bonne logique, il devrait quitter un parti qui se laisse aller à une dérive identitaire et nationaliste de cette ampleur, mais en Belgique, on peut très bien vivre sans logique, ce qui n’a pas que des inconvénients…
Ceux qui connaissent un peu la question, pour avoir vécu et travaillé au pays de Magritte et d’Eddy Merckx, sont aujourd’hui persuadés que l’aspiration nationale flamande est irrépressible, et que le jour approche où la coquille belge aura été vidée de tout contenu, laissant les deux communautés linguistiques à leur destin séparé, et le roi tout nu en son palais de Laeken.
Mais les avis divergent sur l’avenir des Francophones de Wallonie et de Bruxelles. Certains observateurs, comme l’excellent José-Alain Fralon[3. José-Alain Fralon, ancien correspondant du Monde en Belgique est l’auteur de La Belgique est morte, vive la Belgique ! (Fayard)], croient à la possibilité du maintien d’une « Belgique résiduelle » un royaume croupion rassemblant Wallons et Bruxellois, avec un statut spécial, voire international, pour la capitale de l’Union européenne.
D’autres, comme votre serviteur, ne se laissent pas abuser par les réticences de la classe dirigeante francophone à envisager la seule issue possible à l’éclatement du pays : l’intégration de la Wallonie et peut-être de Bruxelles à une République française seule à même de nettoyer les écuries d’Augias d’une région minée par la corruption, le clientélisme politique et la gabegie financière et administrative. Il ne faudrait pas six mois, en effet pour que cette « petite Belgique » se retrouve dans la situation grecque. On devrait, à Paris, cesser de croire aux balivernes des prébendiers d’outre-Quiévrain, et lancer quelques signaux montrant que l’on n’est pas totalement indifférent à l’évolution de la situation. Les réactions populaires pourraient être surprenantes…
Grèce : « On ne repousse pas Platon », mais les droits d’auteur sont chers
Quant à la Grèce, justement, la médecine de cheval qui vient de lui être administrée par l’UE et le FMI aura, pour la plupart des observateurs, comme premier effet de lui ôter les moyens de doper sa croissance pour alléger la charge de sa dette. L’exigence allemande de voir les Grecs adopter désormais le comportement économique et politique des Finlandais peut apparaître sévère mais juste, au vu des escroqueries répétées d’Athènes en matière statistique. Mais la vie internationale ne se règle pas comme le droit commercial, et il est des pesanteurs anthropologiques et culturelles dont il vaut mieux tenir compte, sauf à sacrifier le pragmatisme à l’idéologie. « On ne repousse pas Platon ! », avait lancé, naguère, Valéry Giscard d’Estaing aux critiques de l’entrée de la Grèce dans l’UE en raison de son tropisme plus oriental et balkanique qu’européen dans la version rhénane des pères fondateurs de l’Union. Peut-être, mais il ne faut pas alors s’étonner du coût élevé des droits d’auteur exigés par les héritiers corrompus des inventeurs de la démocratie…
Le mythique et baroque couple franco-allemand
Le salut, nous dit-on, viendra d’une résurrection de ce fameux couple franco-allemand qui a fait tant de merveilles par le passé. Sauf que les dirigeants actuels de ces deux pays traînent des boulets dont leurs prédécesseurs avaient été préservés : un certain référendum français de juin 2005 d’un côté et de l’autre une opinion publique allemande massivement et violemment eurosceptique et une décision de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe décrétant, l’an passé, l’inexistence d’un peuple européen. Ce couple mythique et baroque formé par Sarkozy et Merkel est donc dans la peu envieuse situation de choisir entre le suicide politique en se jetant de conserve dans le Fuji-Yama de l’intégration européenne, ou de survivre chacun de son côté en défendant bec et ongles son bout de gras. La déclaration commune de Nicolas et d’Angela publiée le 6 mai, mi-chèvre, mi-chou, n’a bien évidemment convaincu personne et surtout pas les marchés financiers qui, pour n’avoir pas d’âme, ne sont pas totalement dépourvus de jugeote. Si le tableau vous semble trop sombre, branchez-vous sur France-Inter, la station où le soleil brille quand il pleut.
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