Il est le premier objet de son ironie. Le penseur tourmenté et passionné qui semble faire corps avec les causes perdues qu’il défend ne se départit jamais cette distance à lui-même où peut naître l’humour. Ni ses détracteurs, ni ses admirateurs ne le savent : Alain Finkielkraut est l’un des hommes les plus drôles que l’on puisse connaître. Non pas qu’il se lâche, dans le documentaire réalisé pour France 3 par Ilana Cicurel et Cathie Lévy, au point de livrer au public l’homme privé. Ou si peu. Ainsi le voit-on, avec son copain André Dussolier, assister à la main historique de Thierry Henri pendant le match France-Irlande. Un intellectuel est un supporter comme les autres.
Coup de chapeau à Ilana Cicurel qui a été longtemps la sparring partner de l’écrivain sur RCJ avant d’être la cheville ouvrière de ce film: brosser le portrait d’un personnage pour lequel on a à la fois de l’admiration, du respect, de la reconnaissance et de l’affection tout en évitant l’exercice d’hagiographie, n’était pas tâche aisée. Elle nous épargne les têtes de chapitre obligées sur « Fink et Israël », « Fink et les juifs », « Fink et l’école » pour nous inviter à accompagner le promeneur, le professeur, le lecteur, le penseur. On le dit bêtement médiatique quand sa parole, même sur un plateau, même devant un micro, tranche dans le vif, extirpant du réel, en une formule longuement murie, ce qu’il recèle de plus caché et il est vrai de plus déplaisant. Il ne sait pas prendre la pose, comme en témoignent ce rien de gaucherie dans les gestes, cette façon, parfois, d’hésiter sur un mot plutôt que de choisir le mauvais.
On apprend entre autre scoops, qu’Alain Finkielkraut a été un enfant, choyé par une mère dont on entrevoit la beauté sur une photo, et qu’il est resté un fils. De Lvov, où il tente de retrouver quelques traces de la vie effacée de ses ancêtres, et où il n’observe que la disparition des traces elles-mêmes, sans pour autant en rajouter dans le tragique, il lui téléphone pour lui décrire les lieux où elle a peut-être vécu, on ne sait pas si c’est vraiment là.
Ce fils de maroquinier et de la méritocratie républicaine part à la rencontre de l’écolier qu’il fut dans le Xème arrondissement. Les temps ont changé : au mur est accrochée une vaste carte du monde sur laquelle les élèves ont indiqué leur pays d’origine. « Je suis fier de venir de…. », peut-on lire au-dessus de la carte. Ce choc entre le monde qui meurt et celui qui vient donne envie d’éclater de rire. Finkielkraut sourit, un peu mélancolique : « De mon temps, on n’affichait pas les identités ». Sur son carnet scolaire, son nom est « Alain Finkielkraut, dit Fink ». Pas pour cacher qu’il était juif. Pour éviter que l’on déforme ce nom difficile à prononcer – et facile à moquer. Il est vrai que de ce temps-là, s’assimiler n’était pas un sujet de honte mais de fierté.
Vous l’avez raté hier soir ? Séance de rattrapage dimanche 2 mai, 8 heures sur France 5 et en ligne sur le site de France 5.
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