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Requiem pour l’humour français


Requiem pour l’humour français
Les Guignols de l'Info, la marionnette de G.W. Bush.
Les Guignols de l'Info, la marionnette de G.W. Bush.
Les Guignols de l'Info, la marionnette de G.W. Bush.

L’humour français a toujours été d’un usage strictement domestique et n’a jamais acquis un statut universel, à l’image de l’humour juif ou anglais. Cela ne signifie pas que ses productions à travers les siècles aient été médiocres, bien au contraire, mais il se trouve qu’il voyage mal, comme le reblochon. Alphonse Allais ne résisterait pas à une traduction en allemand, bien qu’une édition dans la langue de Goethe de L’Album primo-avrilesque du génie de Honfleur soit parue confidentiellement, en 1993, à Munich. Je ne l’ai pas lue, mais je crains le pire.

L’art du contrepet et de la charade à tiroirs illustré par le regretté Luc Etienne, les exercices de style de l’Ouvroir de littérature potentielle du Collège de Pataphysique ne sont pas délocalisables, même si certains des membres les plus éminents de cette vénérable institution viennent du monde anglophone.

La satire politique fut, jadis, une forme de l’humour où l’on retrouvait l’esprit français, au meilleur sens du terme, aussi bien dans sa forme populaire que dans les textes satiriques des grands écrivains qui ne dédaignaient pas ce genre de littérature.

[access capability= »lire_inedits »]J’ai, personnellement, été élevé au lait de Guignol (en fait du beaujolais), pas ceux de Canal+, mais celui de Laurent Mourguet, montreur lyonnais de marionnettes dont les personnages se prenaient bille en tête les puissants de la capitale des Gaules.

On me faisait taire, le dimanche à midi, quand venait l’heure du « Grenier de Montmartre » animé par des chansonniers comme Robert Rocca, Edmond Meunier, Pierre-Jean Vaillard, qui rimaillaient délicieusement sur les péripéties gouvernementales de la IVe République. Laurent Ruquier est le dernier rejeton de cette lignée.

Pierre Dac et Francis Blanche s’aventuraient parfois dans ce domaine, mais préféraient rester dans le registre de la grosse blague qui n’était pourtant jamais vulgaire.

Fernand Raynaud n’était certes pas un comique « politique », mais son sketch sur le boulanger arabe a plus fait pour l’antiracisme qu’un millier de communiqués du MRAP.

Coluche était de gauche, Thierry Le Luron de droite, ils cognaient dur contre le camp adverse, mais leur talent – et celui de ceux qui écrivaient pour eux – les mettait à l’abri de la vulgarité et du soupçon d’acharnement partisan.

Quant à Pierre Desproges, il pratiquait un humour métapolitique : à part Léon Schwartzenberg, éphémère ministre, qui devint sa tête de turc lorsqu’il se sut atteint par le cancer, Desproges ne s’abaissait pas à cartonner sur le physique ou les bourdes langagières des politiciens de son temps. Et pourtant, son discours était politique jusqu’à la moelle, mais inclassable dans les catégories habituelles de la gauche, de la droite ou du centre.

Existe-t-il aujourd’hui, dans notre pays, une satire politique qui ait pris la relève des « grands anciens » que je viens d’évoquer ? Au risque de passer pour un vieux con radoteur, je suis obligé de répondre par la négative. Il existe, certes, d’excellents comiques imitateurs, comme Laurent Gerra, Nicolas Canteloup ou Eric Dahan, qui savent nous divertir en pastichant les tics langagiers de nos gouvernants, mais on ne peut dire qu’il s’agisse là de satire, de critique par l’humour de l’action des puissants.

Depuis des années, l’espace de la satire est occupé presque tout entier par les « Guignols de l’Info » de Canal+, production sophistiquée aux dimensions quasi hollywoodiennes, en fait une adaptation française de « Spitting Image », de la BBC britannique. Alain Finkielkraut s’est livré, naguère, à une démolition en règle des « Guignols », avec comme principal argument que cette émission avait procédé à un renversement de perspective : les marionnettes ont cessé de prendre pour cibles les puissants, qui sont plutôt bien traités et arrivent, comme Jacques Chirac, à tirer bénéfice de l’image de leur double en latex. En revanche, il se comportent en élite qui se moque du peuple, comme lorsqu’ils s’acharnent sur un Richard Virenque dopé « à l’insu de son plein gré » ou sur les pataquès d’un Jean-Pierre Papin. J’ajouterai que cette émission s’adresse à ceux que leurs parents ont placé dès leur plus jeune âge devant les « Télétubbies », tant est utilisé le comique de répétition à usage des débiles.

Reste le cas Guillon, porte-drapeau d’une nouvelle espèce de satiriste politique, le pamphlétaire teigneux qui se sert du statut d’humoriste comme Agnan (du Petit Nicolas) se sert de ses lunettes : pour se mettre à l’abri des coups que lui vaudraient ses attaques ad hominem qu’il balance en toute impunité. Ces gens-là méritent des baffes.[/access]

Avril 2010 · N° 22

Article extrait du Magazine Causeur



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