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Une fatwa contre les djihadistes !


Une fatwa contre les djihadistes !

Coran

« Un éminent érudit musulman a condamné les terroristes. » Voilà un homme courageux qui, espérons-le, connaîtra un meilleur sort que Hassan Chalghoumi, l’imam de Drancy. Dans une fatwa de deux cents pages, Muhammad Tahir-ul-Qadri, théologien, professeur de droit musulman et homme politique pakistanais, s’est efforcé de réfuter systématiquement l’argumentation islamiste justifiant les attentats-suicides. Assez content de soi, il a déclaré au cours d’une conférence de presse, tenue à Londres, que son argumentaire est la réponse définitive à ceux qui essaient de justifier la violence au nom de l’Islam, une religion de paix.

Même si le Dr Tahir-ul-Qadri n’est ni le premier ni le seul à proposer une lecture alternative des sources et des traditions musulmanes, on ne peut que s’en féliciter et admirer son courage. Mais puisque ces choses ont déjà été dites, et puisque ceux qui les ont déjà dites étaient aussi sûrs que le Dr. Tahir-ul-Qadri d’avoir apporté la réfutation définitive de la lecture djihado-alqaidiste du corpus des écrits saints musulmans sans que les islamistes se prosternent en murmurant « Vous nous avez battus, chers maîtres », on peut supposer que la question est mal posée. En fait, le problème n’est ni la religion ni les textes sacrés. Le vrai, le seul problème, ce sont les religieux, c’est-à-dire ceux qui, aux yeux des croyants, ont cette autorité particulière de dire ce que Dieu voulait nous dire à travers ces textes. Sans exclure ni nier l’existence en leur sein d’hommes remarquables, animés des meilleures intentions, les religions sont aussi – et parfois surtout – des systèmes de pouvoir.

Les caractères principaux des textes canoniques et les exégèses d’une religion ne sont pas leur beauté, leur sagesse ou une quelconque vérité révélée qu’ils contiennent, mais le fait qu’ils confèrent une énorme autorité à ceux qui les interprètent et parlent en leur nom, ainsi que leur extraordinaire souplesse. Autrement dit, un verset de la Bible ou du Coran, un hadith, un midrash, un texte hagiographique ou un commentaire de pères latins ou grecs peut soutenir des arguments contradictoires, et la seule chose qui compte, c’est donc la question à qui les croyants prêtent-ils l’oreille. Les interprètes légitimes des écrits saints et des traditions ne sont pas de simples et objectifs intermédiaires entre les croyants et les textes mais des acteurs porteurs d’une vision du monde qui utilisent le corpus religieux pour donner plus de poids à leurs opinions. Sans s’égarer dans un complotisme simpliste, on peut constater qu’à partir des mêmes textes, différents papes, rabbins et oulémas peuvent justifier une chose et son contraire. Cette qualité des textes religieux est partagée par les textes législatifs, dont l’interprétation évolue sans cesse. Ce qui est important, ce n’est donc pas la loi elle-même – sujette à d’interminables querelles qui font vivre une petite armée d’avocats et magistrats – mais le fait que toute une société accepte l’arbitrage de son système de justice. Le pouvoir est entre les mains de porte-paroles de la loi et non pas aux mains de la loi.

Pour revenir à l’Islam, les efforts du Dr Tahir-ul-Qadri, tout comme ceux de certains érudits d’Al Azhar au Caire[1. L’Imam d’Al Azhar, le cheikh Al Tantawi, a condamné les attentats de 11/9 et invalidé l’autorité de Ben Laden de parler au nom de l’Islam.] ou des savants de l’école théologique d’Ankara, sont certes importants, mais l’essentiel est ailleurs : la séparation du politique et de la religion. Car si l’on s’abstient de se faire sauter à l’explosif au milieu de femmes et des enfants au prétexte que le Coran et la Bible l’interdisent, on laisse toujours ces textes avec leur cortège d’interprétations et d’interprètes au centre du débat et on leur accorde une autorité dangereuse. Demain, un élève révisionniste de Dr Tahir-ul-Qadri nous fera une brillantissime démonstration inverse et on sera bien embarrassés. La religion est par sa nature même incompatible avec la gestion de la cité. Avec sa conception de la vérité, elle ne peut qu’aboutir à ce régime cauchemardesque désiré par Platon : le règne de ceux qui savent. Le véritable défi de l’Islam – tout comme de la version du judaïsme national développée en Israël depuis quelques décennies – est de créer un espace politique autonome et non pas de chercher des religieux vertueux. Faute de mieux, faire la paix au nom de la religion c’est déjà pas mal mais la faire sans elle, c’est encore mieux.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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