Dis, comment on fait les enfants ? A l’heure du droit à la filiation pour tous, revendiqué dans une admirable tribune publiée dans Le Monde, ça va devenir coton pour les parents de répondre à cette question (qui n’était déjà pas si simple avant). Autant qu’ils le sachent : ils devront faire attention à ce qu’ils disent. Et aussi à ce qu’ils font. Ils doivent cesser d’inculquer de scandaleux préjugés hétéro-centristes à leurs rejetons. Et existe-t-il un environnement plus hétéro-centré qu’un homme et une femme qui décident d’avoir des enfants… ensemble ? Le résultat, on le connaît : au collège, nombre de ces enfants pensent encore (ou déjà) que les humains sont issus de l’accouplement d’un homme et d’une femme. Serge (homo, bi, trans ou lesbienne, on ne saurait trancher car Serge pourrait être une femme qui a choisi un prénom trans, méfions-nous de nos préjugés), Serge donc, 37 ans, prof de sciences éco dans le centre de la France, déplore dans Libération que les préjugés de ses élèves soient très « hétéro-centrés » : « On se marie pour la vie, devant le prêtre, l’union libre ce n’est pas une famille. » Ils sont carrément réacs, ces chers bambins dont on attend qu’ils précèdent le réel en mouvement. Voilà comment une éducation orientée perpétue la domination de l’antique modèle familial et fournit à l’Ecole des contingents d’élèves qui offrent un terrain favorable à l’homophobie.
Ce scandale doit cesser. En conséquence, le problème de l’Ecole aujourd’hui n’est ni la violence, ni le niveau, ni la destitution des professeurs (et des bons élèves qualifiés au mieux de bouffons), mais la survivance du vieil ordre hétéro-centré homophobe dont les Français, consultés par sondage, réclament massivement la disparition, mais qui, ne nous voilons pas la face, subsiste encore sous forme d’injure de cours de récré. C’est dire si les organisateurs de la « Marche des fiertés » lesbienne, homo, trans et bi, comme on dit désormais sans rigoler, ont vu juste en plaçant la dernière édition sous le signe de l’homophobie à l’Ecole. Faut dire qu’il n’y a pas de quoi rire : alors que l’homosexualité doit encore se cacher en France, on ne se plaindra pas qu’un jour par an, elle ose descendre dans la rue.
On ne peut que se féliciter que cette grande cause mobilise les grands médias et même le ministre de l’Education nationale Xavier Darcos qui a accordé un entretien à Libération. Comme chaque année, le quotidien a accompagné la Gay Pride en publiant, toute la semaine précédant l’événement, des analyses de cet inquiétant phénomène (pas la Gay Pride, bande d’ânes, l’homophobie). Certes, à en croire Darcos, les violences homophobes représentent moins de 1 % du total. « Mais il s’agit de signalements, non de la réalité, précise-t-il. L’homophobie est une attitude, elle crée un climat et ne s’exprime pas forcément par des violences. Il est en outre toujours un peu compliqué de la dénoncer. L’omerta sur tout cela est toujours présente. » On imagine combien Darcos doit se sentir mal à l’aise au sein d’un gouvernement qui, selon les signataires du texte déjà cité, pratique une « homophobie d’Etat », pendant naturel de la xénophobie d’Etat que l’on sait. Ils savent que le projet d’union civile du chef de l’Etat est un leurre destiné, en fait, à interdire aux homosexuels « l’accès à la filiation ». Quant à ceux qui osent émettre des doutes sur l’homoparentalité, non pas au sot prétexte que deux hommes ou deux femmes (ou deux trans) seraient incapables d’élever un enfant, mais parce que dire à un enfant qu’il a deux pères serait un mensonge et un mensonge anthropologique, ils ne font que tenter de camoufler leur homophobie primaire.
L’une des solutions qui, malheureusement n’a pas été retenue, tant sur ces questions la frilosité est de mise dans la France sarkozyste, serait de retirer aux parents les plus dangereusement hétéro-centrés l’éducation de leurs enfants pour la confier à des couples insoupçonnables de tels penchants. Et certains de ces derniers sont très demandeurs.
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