La décision du Tribunal de Grande Instance de Lille, qui annulé un mariage au prétexte que l’épousée n’était pas vierge comme elle l’avait prétendu, n’en finit plus de faire jaser. Pour les uns, c’est une atteinte aux droits des femmes et à l’égalité des sexes – une fatwa, nous dit Fadela Amara. Pour les autres, c’est tout juste une dahka[1. Dahka : une bonne rigolade comme l’on disait, jadis, à La Goulette.], une bourde assez grotesque de la justice française, que l’appel du Parquet bientôt viendra réparer. En fait, l’affaire peut-être considérée comme étant un tantinet plus grave que cela, qui révèle une dérive – circonscrite ? – de la jurisprudence.
La décision du Tribunal de Grande Instance a été motivée par un fait précis : la mariée aurait menti sur une « qualité essentielle » la définissant – sa virginité – et aurait par conséquent abusé son futur époux, dont le consentement reposait sur cette promesse. Aux termes de l’article 180 du Code Civil, en effet, une telle « tromperie sur la qualité essentielle de la personne » peut justifier l’annulation pure et simple d’un mariage civil. Avec une majorité d’esprits simples, je pose donc la question : où se procure-t-on la liste des « qualités essentielles » ? Auprès de la mairie ? D’un gynécologue ? A l’église, à la mosquée, dans un sex-shop ? Face au silence de la loi, laquelle n’hésite pourtant pas à dresser la liste exhaustive des infraction au Code de la route ou à celui des impôts, chacun pourra – et devra… – dresser sa propre liste. De quoi affoler Prévert, mais qu’importe : ainsi va la modernité.
Glissement du droit positif au droit subjectif ? C’est très précisément la direction indiquée par le Tribunal lillois, en estimant que la tromperie était avérée dans la mesure où l’absence de pucelage avait été… « perçue comme déterminante » par le plaignant. On aura beau lire et relire les attendus de la décision, la bouche en reste bée : « perçue comme » ! Devant la justice française, c’est donc le demandeur qui définit désormais l’infraction ou le délit. Pour bien comprendre ce qui est en jeu, imaginons que le jugement de Lille ne soit pas cassé et fasse jurisprudence. Traitera-t-on d’autoritaire son patron « blanc » ? Libre à lui d’y « percevoir » un écho de « nazi ». Diffamation. Procès. Traitera-t-on de feignant un Arabe, de radin un Juif ou de cruel un Chinois ? Rien ne les empêchera d’y « percevoir » des injures racistes, constituant un délit : procès ! Une tape sur l’épaule d’un collègue ? Et si ce dernier, mal luné, décidait de « percevoir » dans ce geste bourru mais inoffensif des « coups et blessures » ? Procès, vous dis-je !
Ignorant cette dérive potentielle, certains ont choisi de soutenir la décision du TGI de Lille en invoquant le « dol », c’est-à-dire la nullité du contrat de mariage, aux motifs que « les manoeuvres pratiquées par l’une des parties sont telles, qu’il est évident que, sans ces manoeuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté » (a.1116, Code Civil). Neutre, froid, juridique : leur argument a porté. Il nécessite pourtant un double rappel : primo, la jurisprudence pour « séduction dolosive » est tombée en désuétude – et, en France, la loi ne retient plus même l’adultère comme une faute dans la procédure de divorce ! Secundo, le mariage entre deux amoureux (ou même entre « non-amoureux ») n’est pas encore, du moins pas aux dernières nouvelles, un contrat comparable à celui qui nous lie à Darty ou à SFR. Quant à ceux qui s’acharnent sur l’aspect « communautaire » de cette décision, ils font montre, me semble-t-il, d’une même myopie. Oui, les époux étaient musulmans. Oui, la promise a « menti » sous la pression culturelle (ou religieuse), et « avoué » son mensonge pour la même raison. Oui, c’était à la justice, c’était au droit, de dire que, sous nos cieux, ce genre de folklore n’a pas droit de city. Mais demain, aussi bien, des époux chrétiens, bouddhistes ou végétariens, devront, eux aussi, être ramenés à la loi. Et à rien d’autre. Une bonne fois pour toute : la loi interdit-elle expressément en France de mentir sur son passé sentimental, dans la mesure où ni l’intégrité physique ni l’intérêt patrimonial de l’autre partie n’est menacée ? Non. Alors, fermez les bans !
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