François Hollande et le Brexit: quand le fédéralisme est un autisme


François Hollande et le Brexit: quand le fédéralisme est un autisme
François Hollande lors d'un sommet européen à Bruxelles (Photo : SIPA.00743145_000061)
François Hollande lors d'un sommet européen à Bruxelles (Photo : SIPA.00743145_000061)

François Hollande a fait le vendredi 24 une déclaration consécutive au vote en faveur de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne[1. http://www.elysee.fr/declarations/article/declaration-a-la-suite-du-referendum-britannique/], ce que l’on appelle le Brexit. Cette déclaration est importante car elle révèle, par ce qu’elle dit mais surtout ce qu’elle ne dit pas, l’imaginaire de la construction européenne de notre président et, au-delà, de l’élite politique.

Quand l’émotion remplace la politique

François Hollande commence par dramatiser l’événement, et le présente comme une cause de souffrance avérée ou potentielle. Il se situe donc sur le terrain de l’émotion. On le constate dès la seconde phrase : « C’est un choix douloureux et je le regrette profondément pour le Royaume-Uni et pour l’Europe ». De même place-t-il la question des relations entre la France et la Grande-Bretagne sur le terrain de l’amitié : « La France pour elle-même et pour la Grande-Bretagne continuera à travailler avec ce grand pays ami, auquel l’Histoire et la géographie nous unissent par tant de liens, sur le plan économique, humain, culturel… » D’emblée la question de ce référendum est ici dépolitisée. On est dans le monde des affects et pas dans celui de l’analyse, dans celui des sentiments et non celui des intérêts politiques. Ceci est révélateur de l’approche que François Hollande à l’égard d’un tel événement. Ceci lui permet d’esquiver la question du « pourquoi » de ce dit événement, et donc, par conséquence, les remises en cause qu’il implique. Ou, plus exactement, après avoir situé le débat sur le plan émotionnel, de dénaturer le nécessaire bilan de l’Union européenne.

A cet égard, une phrase est marquante : « La décision britannique exige aussi de prendre lucidement conscience des insuffisances du fonctionnement de l’Europe et de la perte de confiance des peuples dans le projet qu’elle porte ». Le début de cette phrase donne le sentiment, voire l’illusion, que l’heure du bilan est arrivée. La seconde proposition de cette même phrase enterre cela. En effet, on parle des « insuffisances du fonctionnement », ce qui implique que le problème posé relève uniquement de la mise en pratique (le « fonctionnement »), mais surtout on parle de « la perte de confiance des peuples dans le projet qu’elle porte », ce qui revient à dire que l’on se trouve confronté à un problème de pédagogie et non un problème d’options politiques. Or, un projet peut être bien expliqué, bien mis en pratique, et par ailleurs critiquable.

Dans l’imaginaire profondément européiste de François Hollande il ne peut s’agir d’une remise en cause du projet. C’est pourtant de cela même dont il est question avec le Brexit. Les Britanniques ne se sont pas prononcés « contre » l’Europe, et les déclarations de Boris Johnson sur ce point l’attestent[2. http://www.spiegel.de/international/europe/spiegel-interview-with-london-mayor-boris-johnson-a-1047789.html]. C’est bien une remise en cause du projet fédéral qui est mené, en catimini, par l’Union européenne à travers l’Union économique et monétaire (vulgo : la zone euro) qui est mis en cause. Mais faire cela — admettre que c’est cette partie du projet qui a motivé une remise en cause de l’Union européenne par les Britanniques[3. Voir Boris Johnson sur l’euro : http://www.theguardian.com/politics/video/2012/dec/04/boris-johnson-euro-video] — c’est visiblement trop pour l’estomac, à vrai dire bien délicat, de notre président.

Un profond déni des réalités

Evidemment, cela se traduit dans la réaction de François Hollande, dans ce qu’il entend proposer à l’UE pour répondre au Brexit. L’ordre des priorités est, lui aussi, révélateur : « La France sera donc à l’initiative pour que l’Europe se concentre sur l’essentiel : la sécurité et la défense de notre continent pour protéger nos frontières et pour préserver la paix face aux menaces ; l’investissement pour la croissance et pour l’emploi pour mettre en œuvre des politiques industrielles dans le domaine des nouvelles technologies et de la transition énergétique ; l’harmonisation fiscale et sociale pour donner à nos économies des règles et à nos concitoyens des garanties ; enfin le renforcement de la zone euro et de sa gouvernance démocratique ». Notons que, quand il est question de sécurité, François Hollande ne parle que de l’Europe alors que, concrètement, ce sont les Etats qui ont en charge cette sécurité. Il affecte de croire qu’il existe une politique de sécurité européenne alors qu’il n’y a, au mieux, qu’une coordination entre les Etats. La formule adéquate aurait dû être que l’Union européenne devait se recentrer sur la coordination des politiques de sécurité et de défense des Etats. Le glissement auquel il se livre n’est pas seulement faux, il traduit la constitution d’un monde imaginaire, dominé par l’idée fédérale, dans l’esprit de François Hollande.

Mais, surtout, ces priorités ne correspondent pas à celles qui ont été exprimées dans le débat sur le Brexit et que l’on retrouve dans divers sondages au sujet de l’UE. Le problème central aujourd’hui est celui de la démocratie en Europe. D’ailleurs, l’argument le plus fort des partisans du Brexit a bien été celui du rétablissement de la démocratie. Or, ce point arrive en dernier (la « gouvernance démocratique »), venant juste après la zone euro.

Cet ordre de présentation est important. Pour François Hollande il n’est pas question de toucher à l’euro. Au mieux faut-il le « renforcer », alors que les conséquences politiques de la mise en œuvre de la monnaie unique ont été premières dans les réactions des Britanniques qui se sont sentis floués par le « fédéralisme furtif » mis en œuvre par l’UE.

François Hollande, en réalité, n’entend pas remettre en cause cette stratégie de « fédéralisme furtif » menée par l’UE depuis maintenant près de vingt ans. Or, c’est très précisément cet aspect-là du projet politique de l’UE qui est mis en cause, et sous des formes très diverses, par le vote des Britanniques mais aussi par les différents soulèvements contre l’austérité et contre cette idée de retirer aux parlements nationaux le droit final de contrôle sur la politique économique et budgétaire. En fait, François Hollande fait mine de prendre conscience que quelque chose ne va pas dans l’UE, mais c’est pour – en réalité – proposer la poursuite et l’approfondissement, du même projet politique qui a été rejeté par les électeurs britanniques.

Ce déni des réalités et cette radicalisation dans la posture fédérale trahissent une incapacité profonde à tirer la leçon des différents événements et un refus radical — on pourrait même dire congénital — à procéder à la moindre remise en cause. C’est un phénomène qui s’apparente à une clôture psychologique qui caractérise les grandes psychoses. Elle annonce un approfondissement de la rupture entre les peuples et les élites européistes, une rupture qui pourrait avoir des conséquences tragiques dans un proche futur.

Retrouvez cet article sur le blog de Jacques Sapir.

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économiste, spécialiste de la Russie.

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