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Le prix de la liberté à l’heure de la menace terroriste


Le prix de la liberté à l’heure de la menace terroriste
Un policier lors d'un exercice au stade de Lyon (Photo : SIPA.00758318_000008)
Un policier lors d’un exercice au stade de Lyon (Photo : SIPA.00758318_000008)

La fusillade contre le Pulse, club homosexuel d’Orlando, le 12 juin, par un individu se revendiquant de l’Etat islamique (EI), attentat le plus meurtrier des États-Unis depuis le 11 septembre 2001, a fait 49 morts plus le tireur et 53 blessés. Cette nouvelle tuerie de masse du terrorisme islamiste contre une communauté ciblée va-t-elle conduire les Occidentaux à se pencher sur les sacrifices croissants qu’impliquent l’exercice de notre droit à la liberté et la préservation de notre mode de vie, alors que s’intensifie la menace terroriste ?

L’EI a annoncé, dès le 22 mai 2016, que le mois de Ramadan serait, cette année, « un mois de malheurs pour les infidèles ». Cependant, c’est un été radieux qui s’annonce pour les fans de sport (foot, cyclisme, athlétisme, etc) et de musique live. Les Jeux olympiques, qui auront lieu en août au Brésil, accueilleront 7,5 millions de spectateurs. Même estimation concernant le nombre de personnes attendues dans les fans zones pour l’Euro de foot. Deux millions et demi de tickets ont été vendus. Autre exemple, dans la capitale autrichienne, 3 millions de jeunes participeront, fin juin, au festival de musique, le Donauinselfest, qui est un exemple de démesure. Le festival Tomorrowland, l’un des plus grands festivals de musique électronique du monde, qui attire plus de 400 000 personnes pour écouter les meilleurs DJ internationaux, se tiendra comme chaque année en juillet, en Belgique, dans la ville de Boom.

La résilience a un coût

Vu l’état de la menace, chaque événement programmé cet été est une cible potentielle pour les terroristes. Maintenir et continuer de programmer de grands événements festifs, en dépit de l’intensité du risque terroriste, est également un moyen d’exprimer sa résilience face à l’ennemi qui a juré de nous détruire. Oui, mais à quel prix ?

« Le tout-festif est le grand cauchemar de notre temps » déclarait le philosophe Alain Finkielkraut en mai dernier, en condamnant la tendance que l’on prête à la jeunesse de ne pouvoir être sensibilisée aux événements tragiques de l’histoire, que par le seul biais de « la fête ». Cette citation est prémonitoire si on l’applique plus largement aux exigences du contexte sécuritaire actuel.

Le tourbillon sportif et festif de l’été 2016 constitue en effet un défi colossal pour les services en charge de la sécurité dans toute l’Europe. En France, les forces de police et les militaires, menacés d’épuisement, sont à la limite de leurs capacités. D’après Jean-Claude Mailly, le secrétaire général du syndicat Force ouvrière, en mai, avant les grèves contre la Loi travail et les violences liées à l’Euro de foot, les policiers attendaient déjà le paiement de 18 millions d’heures supplémentaires. Le contexte dans lequel ils exercent leur mission est de plus en plus périlleux. Les forces de sécurité et leurs familles constituent plus que jamais des cibles désignées du terrorisme islamiste, comme l’a montré l’assassinat, revendiqué par l’EI, d’un couple de policiers dans les Yvelines, le 13 juin.

La « double peine » du supporter de base

Mais une des raisons pour laquelle les grands événements de l’été sont maintenus coûte que coûte malgré la menace, est économique. Les billets pour les JO de Rio se sont vendus jusqu’à près de 1 200 euros l’unité. Selon A.T. Kearney, cabinet américain de conseil en gestion mondiale, l’industrie du sport représente, à l’échelle globale, 450 milliards d’euros par an et le football européen 16 milliards d’euros. Dans un rapport intitulé The Sports Market, A.T Kearney indiquait déjà en 2011, que ce secteur avait de belles perspectives avec une base de supporters et de fans d’événements sportifs qui ne cessait de s’élargir et le gâteau de grossir d’année en année. Les enjeux sont donc si importants – en 2016 en particulier – que, sans états d’âme, il va de soi que « the show must go on », quel qu’en soit le prix à payer pour sécuriser ces innombrables événements sportifs.

Et ce prix est exorbitant. A titre d’exemple, la question du financement de la sécurité des seules fans zones pendant l’Euro 2016 (17 millions d’euros), met en lumière le poids financier que supportent l’Etat et les villes-hôtes, même si l’UEFA apporte sa contribution à ce défi majeur. A noter que ce sont 7 millions d’euros supplémentaires qui ont dû être rajoutés au coût initial de 10 millions, en raison de l’intensification du risque terroriste. Ne faudrait-il pas dans ces conditions augmenter la participation – autant en moyens humains que financiers – consentie par les organisateurs de ces grands événements pour en garantir la sécurité ? L’Etat et les collectivités locales seraient ainsi partiellement délestés de ce fardeau de plus en plus lourd à porter. La « double peine » du supporter de base, qui paie non seulement son billet mais ses aussi ses impôts, serait ainsi allégée.

D’autant plus que la menace est partout et que les forces de sécurité sont sollicitées sur d’autres fronts. Sur les lieux de culte par exemple et même sur les plages. Dès la fin avril 2016, le quotidien allemand Bild, s’appuyant sur une source des services de renseignement allemand, faisait état de menaces sur les plages et dans les stations balnéaires du littoral méditerranéen européen, notamment en France, en Italie et en Espagne. Des terroristes de l’EI et plus précisément des kamikazes sénégalais affiliés à Boko Haram (groupe terroriste rallié à l’EI en mars 2015) et déguisés en vendeurs ambulants, y réitéreraient le scénario de Sousse de juin 2015. On se souvient, en effet, que, le 26 juin 2015, un seul individu, se revendiquant de l’EI, avait semé le chaos et la mort, sur une plage de Tunisie, en abattant à la kalachnikov et avec une grenade, 39 touristes européens et en blessant 39 autres personnes. La vulnérabilité des stations balnéaires est aujourd’hui une évidence, comme l’a montré l’attentat de Grand-Bassam en Côte d’Ivoire, le 13 mars 2016, attaque revendiquée par Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), qui fit 19 morts (dont 4 français) et une trentaine de blessés. Les assaillants s’en sont pris à des gens qui étaient tranquillement en train de se baigner.

Une fuite en avant dans la fête perpétuelle

Mais au-delà du coût de la sécurité, qui croît de manière exponentielle au fil des attaques terroristes, le problème de fond est en fait celui du déni de réalité de nos sociétés face à la menace grandissante. Comme le remarque Pierre Servent, expert en stratégie militaire et auteur de l’ouvrage Extension du domaine de la guerre, cet aveuglement s’explique par le fait que « nous sommes sous l’emprise de la dictature des trois « I » »« Insouciance, Idéologie et Individualisme » et ne savons pas comment affronter ces « drôles de guerres ».

Cette situation affligeante et les risques futurs qui se profilent sont malheureusement d’ores et déjà prévisibles mais, dans notre fuite en avant dans le sport et dans la fête perpétuelle, nous continuons à ne rien vouloir voir venir. En 1945 déjà, l’écrivain britannique George Orwell avait identifié ce problème central : « Les gens peuvent anticiper l’avenir seulement lorsque cela coïncide avec leurs souhaits, écrivait-il. C’est ainsi que les faits les plus grossièrement évidents finissent par être ignorés lorsqu’ils ne sont pas bienvenus. »[1. George Orwell, Partisan Review, hiver 1945.]

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Analyste géopolitique (Russie, Turquie), auteur et spécialiste en relations internationales et en études stratégiques.

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