Un petit clip mis en ligne sur une plate-forme numérique de l’Education nationale, destiné à servir de support de cours pour l’édification des élèves, narre les aventures de Noisette et Pignon qui, comme leurs noms l’indiquent, sont deux graines : l’une, ronde aux yeux bridés est une petite noisette népalaise, l’autre, oblongue aux idées courtes est un pignon bien franchouillard. Rageur et méchant, Pignon ne supporte pas les étrangers. Archétype de l’horrible « souchien », il n’aime pas ce qui ne lui ressemble pas et regarde d’un sale œil sa petite voisine, Noisette aux yeux bridés, dont la vidéo éducative nous apprend qu’elle est népalaise et maîtrise mal la langue française, ce qui énerve encore plus le vilain Pignon qui est naturellement raciste. Car ce ne sont pas des attitudes ou des mots qui dérangent Pignon, c’est la différence seule, inacceptable en elle-même. Noisette, elle, symbolise une sorte d’innocence ontologique. Népalaise descendue de son toit du monde, elle est parée de toutes les vertus et rien ne semble justifier l’hostilité de Pignon : Noisette ne traîne pas dans les cages d’escalier, elle ne deale pas devant les barres d’immeubles, elle ne brandit pas de drapeau de son équipe de foot en apostrophant les « sales Français », elle ne semble tentée par aucune forme de repli communautaire ou de radicalisme religieux, elle est simplement Autre et en tant qu’Autre, elle est présenté comme une sorte d’être idéal qui n’a d’autre défaut que celui d’être Autre. La parabole éducative sur le racisme devient ici si abstraite qu’elle semble peu compréhensible.
À moins que les auteurs aient vraiment voulu attirer l’attention sur les difficultés d’intégration de la communauté népalaise en France, on ne voit pas trop ce qu’ils ont voulu dire…
Dans son dernier livre, Les Blancs, les Juifs et nous, publié en mars 2016 aux éditions La Fabrique, Houria Bouteldja, porte-parole du Parti des indigènes de la République, ne prend pas autant de précautions que les auteurs de la vidéo sur Noisette et Pignon. Bouteldja veut éduquer elle aussi, elle veut éduquer les Blancs auxquels il faut faire rentrer dans le crâne leur statut de coupables éternels, de la conquête de l’Amérique jusqu’au nazisme en passant par la colonisation. Pour Houria Bouteldja, Pignon le Blanc n’est plus seulement bêtement raciste, c’est l’ennemi radical, le mal absolu, le coupable par nature, le monstre qui engendre les monstres. Pas facile pourtant, pour Houria Bouteldja, d’assumer les contradictions de sa propre biographie : « Pourquoi j’écris ce livre ? Parce que je ne suis pas innocente. Je vis en France. Je vis en Occident. Je suis blanche. Rien ne peut m’absoudre. » Bouteldja, née Noisette à Constantine, en Algérie, en 1973, a embrassé la cause des Pignon en s’installant en France. Elle a vendu son âme contre un LEA d’anglais et d’arabe et une intégration durable à l’univers politico-médiatique français. Elle ne s’en remet pas et maudit tout autant les fascistes blancs avec lesquels elle a pactisé contre son gré que ces hypocrites occidentaux prêts à lui offrir toute leur haïssable condescendance : « Je déteste la bonne conscience blanche. Je la maudis. Elle siège à gauche de la droite, au cœur de la social-démocratie. C’est là qu’elle a régné longtemps, épanouie et resplendissante. Aujourd’hui, elle est défraîchie, usée. Ses vieux démons la rattrapent et les masques tombent. »
Aimer les Blancs d’un amour sévère
Les Blancs, les Juifs et nous, ne fait que répéter ce que Bouteldja répète depuis des années et que la « bonne conscience blanche » devrait écouter avec un peu plus d’attention : les « Blancs » aujourd’hui, qu’ils soient réactionnaires ou confis dans la culpabilité du post-colonialisme à long terme, n’ont aucune excuse, ni plus aucun avenir, autre que celui d’une rééducation lente mais nécessaire. C’est ce que Bouteldja nomme d’ailleurs « l’amour révolutionnaire » : il ne faut pas haïr le Blanc, car il serait indigne de tomber au niveau du « souchien », mais il faut les aimer, d’un amour sévère qui apprendra à nouveau aux Blancs à quel point ils sont coupables et montrera à l’Occident que sa civilisation est un leurre et son mode de vie le plus haïssable. Pour la franco-algérienne Bouteldja, « Blanche d’adoption », il n’y aucun échappatoire mais il y a heureusement les figures tutélaires qui peuvent aider à reconstruire son identité et sa conscience victimaire : Malcom X, Jean Genet, Sartre…
Malcom X est directement élevé au statut de saint : « Malcom X a été tué parce qu’il était beau. (…) Malcom X est un soleil. Sa beauté rayonne. Elle nous irradie. Black is so beautiful lorsque le combat consiste à faire redescendre ceux qui commettent le sacrilège de s’élever au niveau de Dieu. » Jean Genet apporte plus modestement la solution rhétorique au problème d’identité d’une intellectuelle franco-algérienne qui bâtit sa carrière médiatique sur l’exploitation du ressentiment : « En naissant blanc et en étant contre les Blancs j’ai joué sur tous les tableaux à la fois. Je suis ravi quand les Blancs ont mal et je suis couvert par le pouvoir blanc puisque moi aussi j’ai l’épiderme blanc et les yeux bleus, verts et gris. » Mais qu’elle cite Genet ou parle en son nom, Bouteldja prend tout de même la précaution de préciser que, quand elle emploie les termes de « Blanc », de « Juif », ou encore de « baltringue », tout ceci n’a rien de raciste, d’antisémite ou d’homophobe, ce sont juste des « catégories sociales et politiques » qui « n’informent aucunement sur la subjectivité ou un quelconque déterminisme biologique des individus mais sur leur condition et leur statut. » Précautions sans doute inutiles, le « pouvoir blanc » n’est plus si terrible que cela : personne n’a d’ailleurs songé à reprocher sérieusement à Houria Bouteldja de louer Genet pour son indifférence vis-à-vis d’Hitler, de traiter les Juifs de « dhimmi de la République » ou de fustiger cette « blanchité chrétienne » qu’il importe de détruire, pour suivre la voie montrée par Genet : « Anéantir le Blanc qui est au centre de nous-mêmes, c’est anéantir le Blanc au centre de lui-même. Il sait que nous sommes les seuls à pouvoir l’en débarrasser. »
Sartre intéresse moins Bouteldja que Genet le taulard céleste ou Malcom X le soleil noir de la critique anticoloniale. Sartre a peut-être eu le mérite de préfacer Frantz Fanon mais à la copie Bouteldja préférera toujours l’original et Sartre l’anticolonialiste eut de surcroît le tort aux yeux de la porte-parole du PIR de refuser de condamner explicitement Israël lors de la guerre des Six Jours. Crime religieux, sanction immédiate : « Il faut fusiller Sartre ! » « Qu’on lui coupe la tête ! » hurle la Reine de Cœur d’Alice aux Pays des Merveilles. Heureusement que Sartre a eu la bonne idée de mourir il y a belle lurette, encore un qui échappe à un juste châtiment.
Houria Bouteldja se rêve donc en pendant féminin de Malcom X ou de Frantz Fanon et elle vient peut-être de trouver son Jean Genet en la personne d’Océane Rosemarie, chanteuse, comédienne, humoriste, militante gay et lesbienne et aujourd’hui passionaria de tous les opprimés. Pour Océane Rosemarie, Houria Bouteldja incarne le contraire de « l’antiracisme à sa mémère ». Comme Bouteldja, Rosemarie pense qu’il n’existe qu’un seul racisme, celui des Blancs dominateurs exercé à l’encontre des populations dominées non-blanches. Et comme toutes les causes et tous les opprimés se ressemblent, la militante gay et lesbienne pardonne aisément à Houria Bouteldja ses saillies un peu homophobes et pense aussi que l’antisionisme de la porte-parole du PIR « déconstruit la question de l’antisémitisme (…) par une argumentation stimulante et déprise d’européanisme. » Dans une tribune publiée dans Libération, Océane Rosemarie estime que Les Blancs, les Juifs et nous est un « livre (up)percutant, électrique et déstabilisant. » On se demande jusqu’où ira la solidarité d’Océane Rosemarie et si elle trouve aussi uppercutante et stimulante la réaction d’une militante du PIR à l’attentat commis à Tel-Aviv mercredi soir.
Réagissant au mitraillage de terrasses de café par deux Palestiniens mercredi 8 juin, qui a fait quatre morts et cinq blessés, Aya Ramadan, militante du PIR, a publié sur Twitter un message de soutien aux auteurs de l’attentat : « Dignité et fierté ! Bravo aux deux Palestiniens qui ont mené l’opération de résistance à Tel-Aviv. »
Pourquoi effacez vous vos tweets approuvant un acte terroriste ? Le PIR n’assume plus ? @AyaRamadan93 pic.twitter.com/RHxzYAPJmw
— chrisAPteam (@chAPteam) June 8, 2016
Houria Bouteldja n’a toujours pas réagi aux propos tenus par une militante de son parti. Mais peut-être que cet attentat, qui reprend le mode opératoire de ceux du 13 novembre à Paris n’a pas grande importante à ses yeux comme à ceux d’Océane Rosemarie. Car après tout, nous dit cette dernière : « Le seul voile qui pose problème aujourd’hui, c’est ce rideau entre la business class et la classe économique de l’avion, qui permet à ceux qui payent plus cher leur place de croire qu’ils ne sont que vingt dans de grands fauteuils alors que le vol transporte 210 passagers à l’arrière. »
Mais lire les fulminations d’Houria Bouteldja ou la réaction d’Aya Ramadan à l’exécution aveugle de cinq personnes, ce n’est pas au marxisme d’aéroport d’Océane la voyageuse que l’on est tenté de faire crédit mais plutôt à Max Scheler, le philosophe du ressentiment, qui explique sans doute avec plus de justesse ce dont Houria Bouteldja ou le PIR sont le nom : « Je puis tout te pardonner ; sauf d’être ce que tu es ; sauf que je ne suis pas ce que tu es ; sauf que je ne suis pas toi. »[1. Max Scheler. L’homme du ressentiment. Gallimard, 1970] La formule de l’« amour révolutionnaire » dont parle le livre de Bouteldja et qui fait s’extasier Océane Rosemarie est d’ailleurs dévoilée à la fin de l’ouvrage, évoquant plus précisément le retour à une transcendance religieuse qui écraserait enfin l’orgueil blanc, objet de toutes les détestations : « En islam, la transcendance divine ordonne l’humilité et la conscience permanente de l’éphémère. (…) Personne ne peut lui disputer le pouvoir. Seuls les vaniteux le croient. De ce complexe de la vanité, sont nées les théories blasphématoires de la supériorité des Blancs sur les non-Blancs, de la supériorité des hommes sur les femmes, de la supériorité des hommes sur les animaux et la nature. » Et de cette épiphanie politico-religieuse est née le credo militant qui rassemble Océane Rosemarie, la militante gay et Houria Bouteldja, racialiste au masque de marxiste, qui achève sa flamboyante démonstration sur un cri : « Allahou akbar ! – terrorise les vaniteux qui y voient un projet de déchéance. Ils ont bien raison de le redouter car son potentiel égalitaire est réel : remettre les hommes, tous les hommes, à leur place, sans hiérarchie aucune. Une seule entité est autorisée à dominer : Dieu. (…) On peut appeler ça une utopie et c’en est une. Mais réenchanter le monde sera une tâche ardue. »
Une tâche ardue et éventuellement assez sanglante… Peut-être que les gentils avocats de la cause égalitaire tels qu’Océane Rosemarie devrait prendre soin de lire les petites lignes en bas du contrat avant de donner des gages au premier Malcom X venu. Par ce que l’« amour révolutionnaire » de Bouteldja n’a rien de très rassurant et qu’il suffit juste de la lire pour s’en convaincre : « Alors, commençons par le commencement. Répétons-le autant que nécessaire : Allahou akbar ! Détournons Descartes et faisons redescendre tout ce qui s’élève. »
Les Blancs, les Juifs et nous: Vers une politique de l'amour révolutionnaire
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