Voyage au bout de la Nuit debout


Voyage au bout de la Nuit debout
Quatrième soirée de Nuit debout (avril 2016). Photo: Anthony Mikaleff/ Haythem-REA.
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Quatrième soirée de Nuit debout (avril 2016). Photo: Anthony Mikaleff/ Haythem-REA.

J’avoue. Aux prémices, comme beaucoup, j’ai suivi le mouvement Nuit debout… assis, voire totalement avachi sur mon canapé à zapper sur une des trop nombreuses chaînes d’info qui irriguent mon dépit en continu.

Pour ceux de mon espèce, la révolution est comme le sport : un loisir à usage cathodique.

Cependant, par souci d’éthique, et surtout à la demande d’Élisabeth Lévy à qui je ne sais rien refuser, j’ai décidé de me rendre place de la République, mesurer l’écho de ce grand chaos annoncé, observer les damnés de l’asphalte.

C’était beau ! On aurait dit une expo sur l’héritage positif du communisme financée par la fondation « éthique » de Google. Que des altermondialistes en Stan Smith. Un instant, j’ai eu le sentiment de participer à un happening culturel subventionné par la Mairie de Paris.

Des rebelles Montessori, des sans-dents à l’haleine fraîche. Une sorte de fête de l’Huma mais gratuite. On se serait cru en 1789, mais version bio. Place de la république, on entendait la foule gronder au cri « Le peuple a faim. On veut du pain. Oui… mais sans gluten ! »

Partout des insoumis. Direct, j’en ai repéré un. Tellement antisystème, qu’il a déclaré refuser acheter l’iPhone 6, en brandissant un panneau « Snapchat ne passera pas par moi ! »

Un autre, véritable publicité pour GQ, le Biba des bobos, portait sur lui toute la misère sociale du tiers-monde. Un jean Zadig & Voltaire made in India, des New Balance fabriquées en Chine, un sac à do bio assemblé au Pakistan à base de poils pubiens locaux, une veste éco-responsable brodée à la main par des petits Cambodgiens leucémiques. Soit l’équivalent du salaire annuel de toute la masse salariale d’une usine de textile au Bangladesh. Sapé comme un clodo, mais pour le prix d’une Twingo neuve.[access capability= »lire_inedits »]

C’est alors que j’ai trébuché devant Camille, un indigné, qui préparait une conférence citoyenne diffusée via Périscope. Il appelait cela la démocratie « vivante », par opposition à la moribonde démocratie élective. On aurait dit une retransmission télé des débats à l’Assemblée nationale. Ça parlait beaucoup et il ne se passait rien…

Je me suis alors immiscé dans l’atelier politique du jour : « le travail le dimanche ». La majorité était contre, estimant qu’avant d’évoquer le travail le dimanche, il faudrait penser à résoudre celui du chômage le reste de la semaine. Position légitime de bon sens. Face à l’absence de contradiction, j’ai osé : « Nous sommes dans un pays laïque, y a pas de raison que ce soit toujours les curés qui fassent du fric le dimanche »… Le bide. J’ai évité de justesse la finkelkrautisation.

Plus loin s’est offert à moi le spectacle enchanteur de deux tribuns : « C’est le grand débat », clamait l’agora. Enfin ! De la confrontation, de la controverse, de la saine démocratie qui saura faire émerger LE modèle de demain, me suis-je dit en roulant une pelle à un couple de lesbiennes manifestement hétéros. Et là, écrit au fusain sur une vieille cagette de Franprix, j’ai découvert le thème de la joute « l’antispécisme va-t-il cannibaliser le véganisme ? » Du coup, j’ai fini discrètement mon kebab…

Plus loin encore, des féministes émasculaient une peluche en forme de pénis en s’indignant qu’un « veilleur » du front de gauche ait oublié sur un tract d’accorder au féminin un participe passé. Elles criaient au sexisme et promettaient de retrouver cette ordure phallocrate et de lui greffer une grammaire préfacée par Simone de Beauvoir sur la biroute.

L’Obs sous le bras, un rescapé de mai 68 s’indigne : « Il n’y a plus de jeunesse ! Avant ils voulaient baiser, maintenant ils veulent bosser », juste avant de s’engouffrer dans sa Porsche Cayenne, direction le salon business d’Orly Sud pour s’envoler et refaire le monde dans un riad à Marrakech.

Plus tard dans la soirée, un orchestre amateur interprétait la Symphonie du Nouveau Monde. J’ai profité de l’émotion collective pour rouler une pelle à une touriste américaine à qui j’ai offert une bougie #jesuischarlie, piquée sur la statue centrale.

Enfin, j’ai échangé avec un leader non déclaré : « L’objectif de #nuitdebout est de proposer une alternative citoyenne à la société actuelle. » Il m’a alors proposé de prendre un rail de coke. J’ai dit O.K. Une heure après, on s’est retrouvé sur un réverbère à parler de décroissance : « En tant que digital native, nous n’acceptons pas la paupérisation de la génération Y. Tu veux qu’on partage un Uber ? »

Bref, partout cela sentait la révolte de la gauche ! Enfin… plus la gauche qui lit Zola que celle qui vit à la Germinal. Plus celle qui porte une liquette Agnès B homme, se saoule au Spritz et s’envoie des tapas de buffala parfumées à l’huile de truffe. Pas celle qui se parfume au Drakkar Noir en bouffant des Churros au cul d’une Dacia d’occasion pour éponger sa 8,6 et son chagrin.

Jamais je n’aurai pensé rencontrer autant de graphistes, web designers, community managers, blogueurs et autres consultants e-business ailleurs que sur mon profil FB.

En revanche, pas un ouvrier du Nord de la France en attente de délocalisation de son usine dans une filière low cost en Roumanie, pas un chômeur en reclassement à qui on vient de proposer une 23e formation qui va découler sur une 24e, pas un jeune de cité sous perfusion de RSA et adepte du CV anonyme.

Ce sont toujours ceux qui sont déjà propriétaires de la planète qui refont le monde. Les autres… n’ont pas le réflexe.

Décidément les tenants de la classe populaire n’ont aucune conscience politique. Ils préfèrent se lever tôt que de préparer le Grand soir. Fachos de pauvres !

Oui, j’exagère… évidemment, la réalité n’est pas aussi commode que cette petite satire. Mais le rôle du caricaturiste n’est-il pas de grossir le trait pour mieux en saisir le vif ?

Cette aspiration à une démocratie éveillée me semble une bonne chose, cette appétence retrouvée pour le pluralisme ravit le libertaire que je suis, et ce crachat sur la médiacratie n’est pas pour me déplaire. Mais quand on y regarde de plus près, la réalité semble moins rêveuse…

Car en poursuivant mes déambulations dans ce temple dédié à l’altérité, l’amour de l’autre et le vivre-ensemble, j’ai observé qu’au final – et comme à l’accoutumée – chacun venait surtout défendre sa petite cause, sa petite différence, sa grande certitude face à l’incertitude.

À se demander si la place de la République ne va pas bientôt être renommée la place du Hashtag ; s’il ne faudra pas bientôt remplacer au fronton des mairies, le triptyque républicain par un Tous égaux, chacun pour soi !

Épilogue. Retour de ma Nuit debout, maison, petit-déjeuner, chaîne d’info, reportage place de la République, je zappe. D’autres images. Des migrants qui tentent de quitter la misère sur des embarcations de fortune. Décidément le monde est mal fait. D’un côté, on retrouve ceux qui cherchent à sortir désespérément de la société de consommation et de l’autre ceux qui désespèrent d’y rentrer.

Et si j’allais un peu dormir. C’est déjà un bon début.[/access]

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Mai 2016 #35

Article extrait du Magazine Causeur



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est humoriste. Dernier livre paru : "Reprise des hostilités" (Albin Michel, 2016).

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