Les revues littéraires contre le grand remplacement numérique


Les revues littéraires contre le grand remplacement numérique
(Photo : SIPA.00572343_000023)
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A entendre tous les propagandistes enfiévrés du numérique, chaque jour, l’écrit recule. Le digital a fait main basse sur l’information. Le « big data » compile, trie, hiérarchise à la vitesse de buzz l’éclair. Dormez tranquille, la machine travaille pour vous. Le journaliste d’investigation ne porte plus l’imper froissé du détective privé, il ne planque plus dans une 4L en mangeant un sandwich aux rillettes, il pianote sur son clavier à la recherche de l’algorithme vengeur. La lecture ne passera plus par le papier ! L’écran fait aujourd’hui abstraction. Le smartphone est tellement intelligent qu’il aura réussi à tuer Gutenberg et Théophraste Renaudot en une décennie à peine.

La « grande » presse qui n’a de grand que son aveuglement face aux nouvelles technologies a tout misé sur les applis en oubliant les vertus cardinales du papier. Passons sur le confort, le toucher, l’émotion, ce sont des gros mots que détestent les gestionnaires, parlons seulement du contenu. Les magazines historiques ne savent plus sur quel pied danser afin de capter cet être fourbe et versatile qu’est le lecteur aussi appelé consommateur ou client ou source de profit. Ils lui offrent des services essentiellement sur le Net, de la réactivité, de l’interactivité, enfin surtout des vidéos et des diaporamas plus digestes que de longs textes. On m’a volé mes feuillets ! Tous ces milliers de signes qui ont fait le charme de mon enfance, ont disparu. Et dans les kiosques, ces médias de poids ont copié les mêmes recettes lourdingues, des photos légendes et des tunnels de publicité avec de la déontologie et de l’objectivité à revendre, les cache-sexes du politiquement correct.

N’imaginez surtout pas que seule la presse féminine ou automobile soit touchée par cette course à la dématérialisation. Devant une telle incurie, des petits malins ont réagi en créant des « mooks », une hybridation réussie entre le magazine et le livre, de Charles à Schnock, ils se sont inscrits en quelques années dans le paysage et ont comblé la vacuité de leurs frères aînés. Même si le filon commence à s’user, ils ont prouvé que le papier comme survivance de l’ancien monde avait de l’avenir.

Pendant ce temps-là, toujours à la traîne, les quotidiens et les « news magazines » ont continué à creuser leur tombe. Ils changent de maquettes comme de chemises et s’enrhument à force de respirer l’air du temps. Les directeurs artistiques ont pris le pouvoir sur les directeurs éditoriaux en réduisant toujours plus la place des articles pour ne pas gêner les annonceurs. Les pages « livres » ressemblent à des vignettes, aux bons points de l’Ecole publique, elles ne sont qu’un prétexte à entretenir le mythe de la « Culture » comme fondement de la démocratie. Personne n’est dupe, quand les sujets de fond abordés sont : « Les écrivains et leurs chats », « Ecrire sur Mac, est-ce bon pour l’imagination ? », « Véganisme et littérature sont-ils compatibles ? » ou « Le tweet, une nouvelle poésie en marche ». Les professionnels ne font plus convenablement leur métier. Alors, ce sont des amateurs très éclairés qui prennent le relais avec des moyens souvent dérisoires. De nombreuses revues, gazettes, feuilles volantes, toutes de conception artisanale, élaborées par des amoureux des arts et des lettres, ont vu le jour.

De Service Littéraire à la dernière-née Raskar Kapac (le numéro 2 vient de sortir) en passant par Livr’arbitres ou le légendaire Bulletin célinien (35ème année d’existence) de nos amis belges, toutes ces fragiles publications ont un point commun : le plaisir des mots sur papier imprimé. Elles sont vendues quelques euros, ont parfois des périodicités foutraques, elles n’ont pas été imaginées par une agence de communication, elles sont brutes donc irrévérencieuses. Et puis, elles n’ont pas opté pour la nouvelle cuisine, elles ne sont pas chichiteuses, elles donnent à lire ! On ressort de la table de lecture, rassasié, heureux, bousculé par la plume de vrais spécialistes qui nous ont parlé de Chaïm Soutine, Alexandre Vialatte, Cervantès ou Céline. Longue vie aux petits papiers, ce sont de précieux lanceurs d’alerte !

Pour plus d’infos :
www.servicelitteraire.fr
www.raskarkapac.wordpress.com
www.livr-arbitres.com
http://bulletincelinien.com/

 

Article réactualisé le 10 mai à 16h10.



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Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

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