L’erreur médicale, cette inconnue


L’erreur médicale, cette inconnue
mediator livre noir medecine
Sipa. Numéro de reportage : 00612534_000005.

Trente à quarante mille décès par an, en France, sont dus aux actes médicaux : erreurs de praticiens, maladies nosocomiales, médicaments aux effets mal évalués… Dix fois plus que les accidents de la route. Mais les pouvoirs publics sont étrangement inertes, la communication bien plus discrète.

La médecine, un chantier à l’abandon

L’omerta prévaut et jette son ombre sur tout le système de santé : c’est presque uniquement de cette noirceur organisée qu’il est question dans Le Livre noir de la médecine, de cette opacité volontaire, plus que de l’infamie des comportements. La médecine est un gigantesque chantier à l’abandon, paralysé par les enjeux financiers, une justice vétilleuse et un corporatisme d’un autre âge. Dans ce champ clos s’affrontent médecins et patients, assureurs et associations, laboratoires et malades. Et l’État ? Il est soit dramatiquement absent, soit inexplicablement du côté des puissants. Dans un livre qui est moins une analyse experte des parties prenantes qu’un cri de colère, le docteur Dominique Courtois et son fils, l’avocat Philippe Courtois, dressent le constat d’un système de santé en panne parce qu’il a décidé de négliger le patient.

Du sang contaminé au Mediator

Un constat passionné mais informé, nourri de plusieurs années de combats (le mot n’est pas trop fort) contre les assureurs, terrifiant les médecins et méprisant les victimes, toujours prêts au procès car ils en ont les moyens ; les laboratoires, épris de légalité quand il s’agit de défendre leurs marges mais oublieux de l’intérêt public quand il s’agit d’éclairer vraiment sur les mérites de leurs produits ou de reconnaître leur responsabilité ; les médecins, qui avouent tranquillement mentir à leurs patients (43% sont « prêts à relativiser les risques pour obtenir le consentement du patient » selon l’étude Medscape d’avril 2015 !) – et vont jusqu’à tenir des dossiers médicaux différents, les uns montrés aux patients, les autres réservés aux professionnels ; et l’État qui, du sang contaminé au Mediator, semble n’avoir rien appris  ni rien compris.

Les  Courtois ne sont ni plus ni moins que des lanceurs d’alerte, dans un univers médical où la préservation des profits est la règle et où le secret protège moins le malade que les responsables – assez souvent coupables. On peut lire Le Livre noir de la médecine comme une enquête d’un magazine d’actualité, pointant les projecteurs sur des affaires exemplaires – amiante, prothèse PIP, Pradaxa… – et sur une collusion de chaque instant entre laboratoires, médecins, hôpitaux et État, les uns conseillant les autres, et l’Administration niant en permanence toute faute, dans cette perspective bien française où l’État est forcément meilleur, où même le mal qu’il produit est censé être un bien par rapport à ce que d’autres acteurs auraient pu faire et décider. Une enquête orientée mais qui ne cache pas son parti pris, une enquête appuyée sur des dizaines d’affaires où Dominique et Philippe Courtois furent appelés à enquêter, examiner, prendre parti, défendre – s’engager.

Que nous réserve l’avenir?

On peut aussi lire le livre comme une réaction citoyenne supplémentaire (forcément partiale, en dehors des partis, et donc sympathique) à l’inertie des pouvoirs publics – singulièrement depuis quelques années, Marisol Touraine étant moins active que Xavier Bertrand –, toujours prêts à défendre la corporation médicale par solidarité technocratique et les laboratoires français  au nom de la préservation des emplois. Des pouvoirs publics surtout prêts à défendre les “gardiens”, au gré des scandales, des retards, des silences et des incompréhensions : Agence du médicament devenus Afssaps puis ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé), tous organismes financés par les laboratoires (via une taxe spéciale) et employant des conseils travaillant pour l’industrie pharmaceutique. Qui nous gardera des gardiens, est-on tenté de dire ! Ces gardiens honteux et successifs qui validèrent les prothèses PIP que la FDA refusa, qui furent lents contre Servier (Mediator), silencieux dans le cas des essais Biotrial, absents dans le cas de la pilule Diane 35, qui acceptent tout et ne contrôlent rien. Et que nous réserve l’avenir, téléphonie mobile et WiFi, aussi inoffensifs qu’un nuage de Tchernobyl s’arrêtant aux frontières françaises ?

On peut enfin lire Le Livre noir de la médecine comme un manuel de combat : ce qui ressort clairement, c’est que l’équilibre des pouvoirs est en train de changer. La dernière partie du livre est un vademecum de l’erreur médicale, qui entend transformer le parcours du “combattant aveugle” du malade et de ses proches en duel réglé et mieux proportionné. Depuis la loi Kouchner de 2002 (que les auteurs saluent), « relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé », seules les victimes ont le pouvoir de faire bouger les choses. Les associations de patients sont en train de gagner la bataille de l’opinion, bientôt elles joueront à armes égales avec les autres parties. Peut-on rêver même que la confiance se rétablisse entre Français et acteurs de Santé ? Le combat, en tout cas, n’est plus perdu d’avance.

Le Livre noir de la médecine, Dominique et Philippe Courtois, Albin Michel, 2016.

Le Livre noir de la médecine: Patient aujourd'hui, victime demain

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