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Attentats de Bruxelles: qui a su voir naître ce Molenbeekistan?


Attentats de Bruxelles: qui a su voir naître ce Molenbeekistan?
Des policiers sécurisent une rue de Molenbeek pendant une intervention (Photo : SIPA.AP21872519_000040)
Des policiers sécurisent une rue de Molenbeek pendant une intervention (Photo : SIPA.AP21872519_000040)

Bruxelles, 22 mars : « Meurtres, sang et brutalité ». Ce sont les mots employés par l’ex-épouse du Calife Ibrahim alias Abou Bakr al-Baghdadi, pour qualifier les attentats qui ont frappé la capitale de l’Europe, attentats revendiqués par l’Etat islamique, dont il est le chef. Le bilan définitif est de 32 morts (17 Belges, 15 ressortissants étrangers) et 340 blessés à divers degrés. Les victimes sont originaires de 40 pays. La Belgique est toujours plongée dans un état de sidération, même si ses habitants étaient psychologiquement « préparés » à la tragédie, depuis les attentats qui ont ensanglanté la France en 2015.

Rétrospectivement, on se dit que le massacre aurait pu tourner à l’hécatombe. A l’aéroport de Zaventem, deux des trois valises explosèrent directement, la dernière étant déclenchée par des démineurs de l’armée. Au vu de l’ampleur des dégâts, on frémit en apprenant que les terroristes ont été forcés de laisser une quatrième valise remplie de clous et d’objets coupants, dans leur appartement où les perquisitions ont permis de découvrir 15 kg d’explosif de type TATP, 150 litres d’acétone, des détonateurs, ainsi que plusieurs composants servant à la confection d’engins explosifs ! En effet, le taxi venu à leur domicile de Schaerbeek, avec un coffre trop petit, ne pouvait embarquer tous les bagages. Au passage, rappelons que « l’homme au chapeau », habillé en blanc contrairement aux deux kamikazes vêtus de noir, court toujours. A la station de métro Maelbeek, la vidéosurveillance atteste de la présence de deux suspects. Un seul est monté à bord de la rame fatidique avec un sac volumineux, l’autre a pris la fuite.

Simplement des « dysfonctionnements » ?

Au fil des jours qui ont suivi les attaques terroristes, les médias ont révélé une série d’erreurs, pudiquement qualifiées de « dysfonctionnements ». A quoi ont servi ces listes d’activistes radicalisés, d’islamistes localisés, préparées par les forces de l’ordre si elles n’ont pas été exploitées ? Le maire de la commune bruxelloise de Forest, théâtre de l’opération contre une planque de djihadistes une semaine avant les attentats, a expliqué qu’il ne pouvait pas utiliser ces données, d’un point de vue légal. Et que ces documents étaient soigneusement archivés.

Face à de telles aberrations et à l’exaspération grandissante au sein de la population déboussolée, les médias ont fini par dénoncer le long processus d’enkystement de la menace islamiste en Belgique au cours des deux dernières décennies. On a tendu alors le micro ou ouvert les colonnes des journaux à des personnalités telles que le sénateur de droite Alain Destexhe (Mouvement Réformateur, MR), qui, depuis plusieurs années, dénonce inlassablement la dérive islamiste, ou, un brin moins radical, le médiatique Denis Ducarme, chef du groupe MR au Parlement. Plus au centre, Didier Gosuin, (Défi, parti régionaliste), ministre de l’Emploi et de l’Economie pour la Région de Bruxelles-Capitale, est allé, vu les circonstances, jusqu’à évoquer « l’islamo-fascisme ». Ont eu aussi à nouveau voix au chapitre des lanceurs d’alerte tels que la jeune journaliste belgo-marocaine Hind Fraihi, dont le livre courageux Infiltrée parmi les islamistes radicaux, paru en 2006, avait certes provoqué des remous médiatiques, mais dont nul enseignement, à l’époque, n’avait été tiré. Mais comment en était-on arrivé là ? La question restait posée sur toutes les lèvres.

Le précédent du Musée juif de Bruxelles et pourtant…

Sans doute, dès le 24 mai 2014, l’attentat du Musée juif de Bruxelles, qui fit quatre victimes abattues par l’islamiste français, Mehdi Nemmouche, aurait-il dû sortir le peuple belge de sa torpeur et inciter les autorités politiques à prendre les mesures qui s’imposaient pour éviter d’autres tragédies. Mais force est de constater que pour de nombreux Belges, il s’agissait là d’une attaque visant une communauté particulière, et il n’y avait pas encore matière à s’inquiéter outre mesure.

L’attentat du Musée juif fut pourtant la première attaque menée par l’État islamique en Europe et « le premier attentat anti-juif à Bruxelles depuis la seconde guerre mondiale » comme le constatait alors, Maurice Sosnowski, président du Comité de coordination des organisations juives de Belgique. Tout comme en France, où la tuerie de l’école juive Ozar-Hatorah de Toulouse, où trois enfants et un père de famille furent assassinés par Mohamed Merah, le 19 mars 2012, a été le signe annonciateur d’une descente aux enfers, l’attaque antisémite de Bruxelles aurait dû être une alerte provoquant le passage au rouge de tous les signaux, d’autant plus que l’antisémitisme n’avait cessé de s’agraver depuis plusieurs années, plus encore depuis la deuxième intifada.

Mais alors, dans ces conditions, ainsi que l’écrivait au début du siècle dernier un certain Lénine, Que faire ?

Laxisme et manque d’anticipation ?

Au vu des critiques qui se sont élevées de toutes parts pour fustiger le laxisme et le manque d’anticipation présumés des autorités belges confrontées à la menace terroriste, le Premier ministre Charles Michel, interviewé, le 6 avril, par la journaliste Christiane Amanpour sur CNN, a reconnu « un échec », mais il a refusé que la Belgique soit qualifiée d’« Etat défaillant » : « Nous sommes un petit pays au cœur de l’Europe (…), une plaque tournante depuis laquelle il est aisé d’organiser des attentats dans d’autres pays européens », mais « je ne peux pas accepter l’idée qu’il y aurait un Etat défaillant », a-t-il déclaré. Face aux défis sécuritaires actuels, il a appelé une nouvelle fois de ses vœux la mise sur pied d’« une CIA européenne ». Enfin, tout en réitérant la nécessité de préserver la liberté de religion, il a souligné le fait que la Constitution prévalait sur « la loi de Dieu ». Ces déclarations permettent de souligner la position de l’Etat belge face à des organisations salafistes (telles que Sharia4Belgium aujourd’hui dissoute), qui visent à imposer la loi islamique dans le Royaume.

Concernant l’entrisme des salafistes, une prise de conscience concernant les dangers liés aux financements étrangers des mosquées s’est récemment fait jour, en France, parmi les responsables politiques. La députée Nathalie Kosciusko-Morizet, candidate à la primaire Les Républicains, soutient désormais l’idée défendue par Anouar Kbibech, nouveau président du Conseil français du culte musulman (CFCM), et s’interroge ainsi dans son ouvrage intitulé Nous avons changé de monde, sur la nécessité de prélever une taxe de 1% sur les ventes de produits halal (environ 6 milliards d’euros par an), afin de financer un islam de France et de ne pas laisser la porte ouverte à des financements étrangers. Du côté belge, les discussions sur l’autofinancement d’un islam « made in Belgium » ne sont pas aussi avancées, mais l’analyse approfondie menée actuellement par les Français devrait finir par porter ses fruits. Les mosquées reconnues officiellement — une minorité — peuvent actuellement bénéficier de subsides publics.

Crispations identitaires partout

Le contexte d’incertitude actuel a pour effet de renforcer les crispations identitaires, voire les mouvements de l’extrême droite raciste, comme l’a montré la « descente » sur la Bourse de Bruxelles de centaines de hooligans, issus pour beaucoup d’entre eux de clubs de foot flamands, quelques jours après les attentats du 22 mars. Déjà mobilisée par la traque des djihadistes kamikazes, les services de renseignement intérieur, craignant une action violente, ne peuvent cependant pas relâcher leur surveillance sur des mouvements tels que le Voorpost, qui prône l’idéologie du « white power » — la suprématie blanche — et voit le nombre de ses adhérents augmenter au fur et à mesure que croît la menace terroriste.

Il paraît ainsi probable que si les Belges devaient voter dans un futur proche, il est presque certain que des formations populistes et radicales progresseraient comme ce fut le cas avec la forte percée de l’extrême droite lors du « dimanche noir de 1991 ». Mais nulle crainte dans l’immédiat pour l’establishment, attendu que les élections communales (l’équivalent des municipales en France, ndlr) sont prévues pour octobre 2018 ! Puis, si le gouvernement fédéral tient jusque-là, le scrutin législatif aura lieu au printemps de 2019, tout comme les élections européennes.

Face au désespoir des Belges à la suite des attentats, le pape François a parlé d’amour. Johnny Hallyday, lui, a maintenu ses deux concerts du week-end pascal à Bruxelles. Voulant rendre hommage aux victimes des attentats, il a interprété la célèbre chanson de Jacques Brel, Quand on a que l’amour. Hélas, ce ne sera pas suffisant pour l’avenir…

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Analyste géopolitique (Russie, Turquie), auteur et spécialiste en relations internationales et en études stratégiques.

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