Fin de « partouze patriotique », pour reprendre l’élégante expression du rappeur Hamé interrogé par Mediapart. La messe est donc dite et redite à satiété. À entendre les revues de presse de ce matin, l’écrasante majorité des confrères est sur la ligne Joffrin : le débat sur l’identité nationale est un fiasco. « Un pet de lapin », selon le patron de Libération, « le ratage de l’année », pour Marianne. Un « naufrage », « un débat malsain » dont il faut se féliciter qu’il ait été « enterré en catimini ». « Bon débarras ! », s’exclame Le Monde, faisant écho à Jean-Luc Mélenchon. Certains consentent à sauver le gentil Fillon contre le méchant Besson, d’autres accablent en bloc le gouvernement et sa « logique identitaire, qui n’est autre que la traduction idéologique de la politique d’immigration menée par ce gouvernement » (Eric Fassin, Mediapart). À l’exception de francs-tireurs comme Ivan Rioufol (et, j’imagine, quelques autres), chacun y va de sa pelletée de terre avec la conviction d’avoir contribué à terrasser la bête immonde. Au royaume des médias, la concorde règne.
« On a gagné ! » Ce titre aurait dû faire la « une » de la quasi-totalité de nos quotidiens, sites, journaux radio et télé. Le Parti des médias a raison de se réjouir. Pas seulement parce qu’il a fait reculer le gouvernement, obligeant celui-ci à répondre à la difficile question qu’il avait lancée sur la place publique par un catalogue de colifichets pédagogiques assorti d’un discours lénifiant. Le tam-tam orchestré par les grandes consciences du journalisme et de quelques autres corporations vertueuses a en effet atteint son but, au moins partiellement : intimider tous ceux qui auraient bien voulu en parler de ces sujets interdits. Décréter une fois de plus quelles sont les questions qu’on n’a pas le droit de poser.
Que l’affaire ait été initiée par le gouvernement est d’autant plus regrettable qu’elle a été gérée dans la confusion idéologique. Une cuillère pour Zemmour, une cuillère pour Naulleau (qu’ils me pardonnent d’être utilisés ici comme personnages allégoriques). « Je crois à l’identité française », affirme Nicolas Sarkozy. Pour ajouter immédiatement que cette identité ne saurait se définir que par la diversité, passant subrepticement de l’identité aux identités. Mieux encore, faute de définition claire des termes du débat, on commence par s’interroger sur ce qu’est la France et on finit en expliquant qu’il faut lutter contre les discriminations. Pour les malentendants, la conclusion est claire : s’il y a une identité française, elle est mauvaise, nauséabonde, déplorable et raciste, aussi convient-il de la combattre en chacun d’entre nous et de la dissoudre dans les identités pacifiques et tolérantes de ses populations de souche récente.
Pourquoi ce débat serait-il nauséabond ? Parce qu’il y a été question d’immigration et d’islam. Quelle surprise. En 50 ans, la composition culturelle et religieuse (car il s’agit bien de culture et pas d’ethnie) a changé plus vite et plus profondément qu’au cours des siècles écoulés, mais il ne faudrait surtout pas en parler. L’islam identitaire de nos banlieues a progressé en même temps que le djihad mondial mais ceux qui se posent des questions sont des salauds. Que des « jeunes en colère » revendiquent leur citoyenneté en proclamant leur haine de la France, rien de plus normal, c’est de l’amour déçu – déception dont nous sommes largement fautifs. Sur tout cela, silence radio parce qu’on risque de déraper, c’est-à-dire de sortir des clous tracés par la coalition de l’aveuglement. Il faut comprendre ces bons esprits : quand on n’a à sa disposition qu’un bouton pour dire oui et un autre pour dire non (ou un seul pouce qu’on peut lever ou baisser), toute question est un piège affreux. Soit l’immigration est une chance pour la France, soit elle est une catastrophe. Ange ou salaud, nuance interdite.
Seulement, il ne s’agit pas d’aimer ou de détester l’islam et encore moins d’être pour ou contre les immigrés. Les seules questions qui vaillent n’auront évidemment pas été posées. Trop compliqué pour les esprits binaires. Comment digérer pour le bien de tous les vagues migratoires des dernières décennies ? S’interroger, c’est stigmatiser, l’autre terme qui permet de borner le débat. Car à ce compte-là, toute critique est une stigmatisation. Est-il permis de vouloir préserver un mode de vie collective qui repose sur un certain type de rapport, extrêmement français, entre le particulier et l’universel, l’individuel et le collectif ? À cette dernière question la réponse est clairement négative.
Le plus consternant, c’est que la censure a été intériorisée par celui qui aurait dû être en première ligne pour la combattre. Certes, à la décharge d’Eric Besson, il n’a guère été soutenu par ses petits camarades. Reste qu’en affirmant que la France est « un conglomérat de peuples » (donc d’identités), il a apporté sa petite pierre à l’entreprise de déni du réel qui a recouvert le débat d’un brouhaha pâteux dans lequel les vociférations indignées se sont mêlées aux considérations sentimentales. En somme, non seulement les Français de souche n’existent pas, mais ce sont des salauds.
Certes, quelques semaines durant, un coin du voile a été levé. Il est vrai qu’en dessous, dans la vraie vie, il y a des choses déplaisantes, des sentiments mêlés, des expressions fâcheuses ou carrément haineuses. On croise des gens qui pensent qu’être français a quelque chose à voir avec l’ethnie ou la race. Oserais-je le dire : ils sont une minorité et j’en ai assez d’être stigmatisée en étant confondue avec ceux-là. Mais, pour peu qu’on consente à écouter, on entend surtout des angoisses, des peurs, des attentes et même, l’espoir que quelque chose pourrait empêcher la France de se fragmenter en groupes dressés les uns contre les autres par le ressentiment. À ces inquiétudes-là, on ne répondra rien, puisqu’elles sont forcément l’expression de la xénophobie nationale (dont la réputation n’a pas dû parvenir à tous les malheureux qui rêvent ou tentent de rejoindre ce pays raciste qui mène une chasse aux immigrés comme l’ont récemment montré les juges qui ont ordonné la mise en liberté de clandestins kurdes). C’est ainsi que l’autisme semble être devenu la principale vertu publique.
Quelques optimistes comme le camarade Rioufol pensent que le débat ne s’arrêtera pas, puisqu’il intéresse les gens. Comme si cela avait une importance quelconque. Les régionales approchent. Si le FN fait un bon score, les néo-résistants (qui sont plus néo que résistants) répèteront en boucle qu’ils l’avaient bien dit et qu’il ne fallait pas ouvrir la boite de Pandore, cette mystérieuse caverne où sont enfermés les mots et les idées qui leur déplaisent. Et s’il ne progresse pas, ils jureront qu’ils l’avaient bien dit et que l’UMP continue à chasser sur les terres du Front et vous imaginez la suite. Le couvercle retombera sur la marmite, bien plus pesant encore. Bref, si les bien-pensants ont reculé, c’est pour mieux sauter.
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