Décidément, il faut boire le calice jusqu’à la lie. Non seulement, il faut accepter, quand on est du Nord, de se voir désormais acoquiné avec les Picards qui, somme toute, ne savent que cultiver des betteraves et des motards identitaires entre leurs cathédrales gothiques très surfaites.

Non seulement, il faut accepter le réaménagement et le redécoupage autoritaire des régions pour leur donner la masse critique qui permettra de construire l’Europe des Länder sur le model fédéral allemand en cassant ce cher vieil état nation qui avait ses frontières à peu près fixes depuis Louis XIV.

Non seulement, dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie, il n’y a plus un seul élu de gauche à l’assemblée régionale puisque le mode de scrutin, la démagogie ouvriériste du FN et l’implosion clientéliste du parti socialiste ont réduit le pluralisme à un affrontement entre Marine Le Pen et Xavier Bertrand, c’est à dire entre Donald Trump mieux coiffé et Manuel Valls en moins psychorigide.

Non seulement, ce même Xavier Bertrand, le nouveau président d’une région plus peuplée que l’Irlande et avec plus de bières n’est même pas du Nord mais vient de Saint-Quentin et ne sait même pas écrire potchevlech correctement alors que c’est vraiment très bon.

Mais en plus voilà que l’on va s’appeler Hauts-de-France.

Déjà, partout, on se moque. On fait remarquer que c’est le nom d’une association de nudiste. Moi, ça m’évoque surtout une résidence pour cadres sup des années 70 avec des costumes Renoma et des femmes en R5 orange, tous giscardiens parce que Giscard, tout de même, c’est la modernité. Le tout avec un appartement témoin que l’on vient visiter le dimanche après-midi avec l’agent immobilier qui vante le chauffage par le sol, la moquette angora et les stores automatiques.

Une fois qu’on a bien ri, on a tendance à oublier le problème du gentilé comme disent les géographes, c’est-à-dire du nom que l’on va donner aux gens qui ne vont plus habiter dans le Nord ou la Picardie mais, répétons-le pour nous convaincre de l’horreur, dans les Hauts-de-France.

On va être quoi, alors ? Hautistes de France ? On était déjà alcooliques, consanguins et aussi pédophiles qu’un prêtre lyonnais, si en plus on nous colle un syndrome d’Asperger, on va finir par croire à de l’acharnement et la prochaine fois Marine Le Pen fait 70% au premier tour.

Hauts de Franciens ? Ca a un faux air carolingien, voire mérovingien mal dégrossi. Si du côté de l’Est, ils choisissent Nouvelle Austrasie pour leur région, on va carrément se retrouver dans un livre d’histoire écrit par Augustin Thierry.

On pourra épiloguer indéfiniment sur le but de la manip. Rendre la région plus attractive par la magie d’un nom (cf. Platon dans le Cratyle qui dit que la réalité de la chose se met au bout du compte en conformité avec le mot qui la désigne) mais y a–t-il plus de touristes dans les Côtes d’Armor depuis qu’elles ne sont plus les Côtes-du-Nord ? Ne pas vexer les susceptibilités locales des anciennes régions absorbées ou fusionnées. Que sais-je encore ?

En ce qui concerne les Hauts-de-France, en tout cas,  on ne me retirera pas de l’idée qu’on pouvait sans doute faire encore mieux pour dissoudre la mémoire d’une région ouvrière et rouge, mais là, on frise l’exploit en matière d’effacement du passé.