Le salut par la disgrâce


Le salut par la disgrâce
Fleur Pellerin lors d'un déplacement à Nantes, fin 2015 (Photo : SIPA.00728324_000019)
Fleur Pellerin lors d'un déplacement à Nantes, fin 2015 (Photo : SIPA.00728324_000019)

« Mon grand regret est d’avoir mal su expliquer ce que j’étais en train de faire à la tête de ce ministère », a déclaré Fleur Pellerin dans un entretien doux-amer accordé à L’Obs le 17 février, au lendemain de son renvoi. Comment pourrait-on la consoler ? Par la littérature, qui est le meilleur vulnéraire pour les blessures politiques. Elle qui déplorait, après l’incident Modiano, de ne pas avoir le temps de lire mais qui affirme dans ce même entretien avoir lu Joyce en anglais et Musil en allemand – ce qui vaut mieux que le contraire –, trouvera sans mal des auteurs qui feront écho à son infortune. Chateaubriand, par exemple, qui dans ses Mémoires d’outre-tombe, rappelle les circonstances de sa disgrâce.

Nommé ministre des Affaires étrangères le 28 décembre 1822 après une brillante carrière diplomatique, il est débarqué sans ménagement le 4 août 1824, un ministère à peine plus long que celui de Fleur, rue de Valois.[access capability= »lire_inedits »] Fleur a été surprise : « Dire que je n’ai pas accusé le coup, que je n’ai pas été choquée par la nouvelle serait mentir. » Chateaubriand aussi : « Et pourtant, qu’avais-je fait ? Où étaient mes intrigues et mon ambition ? »

Fleur l’a appris par un coup de téléphone tandis que c’est Hyacinthe le valet de l’écrivain, qui lui annonce qu’il n’est plus ministre. Le téléphone, c’est le valet d’aujourd’hui. Il lui remet un billet plus élégant néanmoins mais tout aussi violent que le tweet de l’Élysée annonçant le nouveau gouvernement : « Monsieur le Vicomte, j’obéis aux ordres du roi en transmettant de suite à votre Excellence une ordonnance que Sa Majesté vient de rendre. Le sieur Comte de Villèle, président de notre conseil des ministres, est chargé par intérim du portefeuille des affaires étrangères en remplacement du sieur Vicomte de Chateaubriand. »

Bien sûr l’important, c’est l’après. Chateaubriand écrit : « On avait compté sur ma platitude, sur mes pleurnicheries, sur mon ambition de chien couchant, sur mon empressement à me déclarer moi-même coupable, à faire le pied de grue auprès de ceux qui m’avaient chassé : c’était mal me connaître. » Si Fleur assure, contrairement à ce qu’ont prétendu des malveillants, avoir évité elle aussi les « pleurnicheries », il n’est pas sûr qu’elle ne fasse pas le pied de grue : « Pour l’avenir, je n’exclus rien. Je ne peux pas imaginer une seconde ne pas jouer un rôle dans le destin de ce pays. » Chateaubriand, pour sa part, préféra ensuite tomber amoureux d’une jeunette et écrire des livres.

Il a eu raison, chère Fleur : on se souvient plus de lui comme écrivain amoureux que comme ministre.
[/access]

Mars 2016 #33

Article extrait du Magazine Causeur



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Quand on sonne les cloches à Richard Millet…
Article suivant Vive la bagnole!

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération