La contestation gronde de toutes parts, le bulldozer de la réforme avance. Sauf miracle qui reproduirait la défense de l’école libre en 1984, le collège Najat entrera en vigueur à la rentrée prochaine – et avec lui les nouveaux programmes dont on a tort de si peu parler.
Collège, latin-grec, orthographe : les salles des profs hésitent entre rage et désespoir, les réseaux sociaux sont en émeute, des pétitions circulent, des grèves isolées se multiplient, des parents entrent dans la danse. L’accent circonflexe ne cédera pas. Les langues mortes vivront. Fait notable, c’est une partie des bataillons traditionnels de la gauche qui s’insurge contre le progressisme scolaire sous toutes ses formes. Najat Vallaud-Belkacem peut bien admonester ses prédécesseurs, coupables de confondre dans le même opprobre une réforme de l’orthographe qui selon elle n’existe pas et à laquelle elle n’a, il est vrai, pris aucune part (sauf peut-être en encourageant les éditeurs de manuels mais c’est une supposition), il faut croire que les petits esprits se rencontrent.
Une idéologie faussement égalitaire
C’est bien la même idéologie, bétassonne, uniformisatrice et faussement égalitaire, qui préside à la simplification de l’orthographe et à la destruction du collège, lentement mais sûrement transformé en centre d’animation socio-culturel. Puisque le latin-grec, comme l’orthographe soignée, sont des marqueurs de distinction sociale, on les combattra l’un et l’autre. On pourrait au contraire rêver d’offrir à tous les élèves ces possibilités de distinction hautement méritocratiques. Mais comme l’écrit un ancien enseignant[1. Marc Le Bris, « Réforme du collège : la double faute de Najat Vallaud-Belkacem », Le Figaro, 16 février 2016.], la sottise bourdivine en milieu scolaire a pour effet que l’on « prend désormais les enfants de la classe ouvrière – et aujourd’hui des quartiers défavorisés – pour des incapables congénitaux ».[access capability= »lire_inedits »] La bonne conscience progressiste s’exprime autant dans ce mépris de dame patronnesse pour ceux que l’on prétend vouloir aider, que dans la morgue faussement compatissante réservée aux « pseudo-intellectuels » qui dénoncent en vain la catastrophe. S’il y a quelque chose de glaçant chez la ministre de l’Éducation nationale, c’est son apparente incapacité à ressentir la moindre inquiétude, mais aussi la moindre empathie pour ceux qui s’inquiètent.
Dans ce champ de ruines, on aurait tort de passer sous silence les bonnes nouvelles. La première est que, pour l’orthographe comme pour le collège, la résistance n’est pas venue de quelques hypothétiques nostalgiques des coups de règles, mais de l’ensemble de la société, des classes moyennes et des classes populaires qui veulent qu’on enseigne l’effort à leurs enfants. Cela réjouit l’académicien Alain Finkielkraut qui n’apprécie guère l’ardeur simplificatrice de ses pairs et prédécesseurs : « C’est le peuple qui défend ce bien commun qu’est la langue contre une réforme bureaucratique, c’est le peuple qui veille sur les morts et qui refuse à quelques vivants péremptoires le droit d’effacer ses traces orthographiques. » Et c’est le peuple qui ne se résigne pas à ce que l’on fasse de ses enfants des petits barbares sans racines et sans règles.
Une minsitre experte en djihadisme et mixité
La deuxième bonne nouvelle, et le deuxième point commun entre la réforme de l’orthographe et celle du collège, c’est qu’elles ne passeront pas sans les profs, ce qui signifie qu’elles ne passeront peut-être pas du tout. Ceux-ci, en effet, refusent d’être enrôlés pour éradiquer le djihadisme et supprimer les inégalités, ils veulent enseigner. Or, significativement, la plupart des interventions récentes de la ministre n’avaient strictement rien à voir avec l’enseignement. Le 24 janvier, dans le « Supplément » de Canal + , le journaliste qui l’a suivie une semaine durant, l’interroge comme experte, à la fois en djihadisme et en mixité sociale. Émerveillé, il semble penser que Najat Vallaud-Belkacem a trouvé la pierre philosophale : « Mélanger les riches et les pauvres dès l’école pour empêcher le communautarisme, terreau de l’islam radical. » Comment n’y a-t-on pas pensé plus tôt ?
Affairée qu’elle est à changer le monde, la ministre ne se soucie guère des humeurs enseignantes. Sinon, elle comprendrait que, comme l’observe judicieusement Le Bris, sa réforme « enlève aux enseignants leur véritable moteur interne, la satisfaction du travail bien fait ; la satisfaction d’emmener un mauvais élève vers du mieux, mais aussi celle d’envoyer un bon élève briller plus haut, d’où qu’il vienne ». Autant changer de métier : « Le rejet massif de la réforme par les enseignants du secondaire est naturel, conclut Le Bris. On ne pourra jamais les empêcher à ce point d’enseigner. » De fait, sous le prétexte à peine inavoué de punir les bons élèves, tous seront pénalisés. Tous nuls ! – on ne peut imaginer plus égalitaire.
Une envie de sabotage
Certes, la révolte sourde des profs n’empêche pas la machine administrative d’avancer. Au lendemain de la quatrième journée de mobilisation, le 26 janvier – 22 % de grévistes selon le ministère, 50 % d’après les syndicats –, tous les établissements de France ont reçu leur « DHG », « dotation horaire globale », document qui, après plusieurs opérations passablement obscures, sort de l’alambic transformé en emplois du temps pour les élèves et pour les enseignants. Sous l’apparente simplicité du sigle, la DHG prend en compte tellement de paramètres qu’il est impossible de savoir si le nombre d’heures affecté à une discipline a augmenté ou pas, ce qui permet à la ministre d’enfumer tout le monde avec des chiffres fantaisistes. En réalité, avec ses chatoyantes inventions trans ou inter (disciplinaires), la réforme habille de considérations pédagogiques les nécessités budgétaires. Ainsi les heures dévolues aux EPI (les machins interdisciplinaires) et AP (accompagnements personnalisés) sont-elles retirées aux disciplines. Ensuite, chaque établissement se débrouille. Au collège Pierre-de-Geyter[2. Compositeur de la musique de l’Internationale.] de Saint-Denis, où enseigne notre ami Iannis Roder, on a sauvé le latin, mais avec une heure de moins (soit 2 au lieu de 3) en quatrième et en troisième.
Les professeurs ne peuvent rien faire contre le carcan horaire. Il est, heureusement, beaucoup plus difficile de contrôler ce qu’ils feront dans leurs salles de classe. Or, l’idée de résistance passive se propage. « Le mot d’ordre qui circule, observe Iannis Roder, c’est de s’opposer autant que possible à la mise en œuvre de la réforme. ». Certains profs ont été sanctionnés pour avoir boycotté les « journées d’information », que les syndicats appellent « journées de formatage », au cours desquelles des émissaires du rectorat tentent de vendre la réforme aux profs. La plupart s’y rendent et écoutent dans un silence hostile des arguments auxquels ceux qui les emploient ne croient pas.
Cette envie de sabotage est encouragée par le fait que la réforme est objectivement inapplicable, ne serait-ce qu’en raison du surplus de foutoir administratif qu’elle génère. Ainsi les fameux EPI étaient-ils prévus pour être co-animés par deux professeurs. Eh bien, nul ne s’était avisé que cela revenait à doubler la présence de chacun d’eux. Résultat, le ministère a rétropédalé sur la co-animation, et les EPI seront assurés par chacun des professeurs concernés dans son cours. Au point qu’ils pourraient bien ressembler finalement à des cours classiques.
Un jeu de cache-cache avec le ministère
Il est certes désespérant que les professeurs soient obligés de jouer à cache-cache avec l’institution qu’ils représentent pour avoir une chance de faire leur métier et de sauver ce que les bons sentiments n’ont pas encore détruit. Mais il est rassurant de savoir qu’ils ne lâcheront pas. Entre nous et le désastre absolu, ils sont le dernier rempart.
En attendant, que les jeunes Parisiens se rassurent : au terme de cette énième réforme, eux continueront à avoir accès sans problème au latin et au grec, contrairement à pas mal de leurs camarades moins bien nés, en banlieue ou en zone rurale. Cela s’appelle la justice sociale.
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