Le « syndrome de Stockholm »[1. Expression qui désigne l’ensemble des symptômes caractérisant une forme, assez rare, de pathologie. Celle-ci aboutissant, in fine, à susciter l’empathie d’une victime à l’égard de son bourreau.] n’a sans doute jamais si bien porté son nom. Depuis que des policiers suédois ont fini par se résoudre à révéler l’impensable : des centaines de viols et de délits, à caractère sexuel, enregistrés pendant des années, dans le pays qui, par excellence, incarne et glorifie les vertus de l’accueil des migrants ont été tus. Sciemment.
Stupeur et scandale. Ainsi donc, il aura fallu une réaction en chaîne, consécutive à l’onde de choc qui a secoué l’Europe du Nord, après la nuit de cauchemar de la Saint-Sylvestre à Cologne, pour déciller les yeux et déboucher certaines oreilles.
Un second mur est tombé en Allemagne : celui du silence
Un second mur est tombé, en Allemagne, le 2 janvier dernier : celui du silence. Depuis, rien n’est plus vraiment comme avant. Tout commence par un communiqué, lapidaire et lénifiant, publié par les autorités policières de la grande ville rhénane. Rien à signaler. La nuit du Nouvel An a été calme. La routine. Dès le lendemain pourtant, les réseaux sociaux se mettent à bouillonner. Des femmes, souvent seules, parfois accompagnées, auraient été violentées par des groupes d’individus très virulents et mobiles. Vite débordée, la police aurait plus ou moins laissé faire.
Les images tournent alors en boucle sur Facebook et Twitter. Elles rappellent, à s’y méprendre, celles de la place Tahrir, au Caire, pendant les prémices de ce fameux « printemps arabe » que les médias occidentaux ont longtemps cru observer. Mêmes méthodes d’encerclement, puis d’isolement de leurs proies – il n’y a pas d’autres termes – de la part de types aussi déterminés que des moustiques autour d’un néon un soir de juin. Ensuite ? Coups, attouchements, tirages de cheveux, immobilisations, viols et vols se succèdent, dans un ordre incertain, à cette sinistre loterie.
Une journaliste de France 3, envoyée spéciale en Egypte pour couvrir le soulèvement populaire ayant emporté le raïs Moubarrak, en a fait la cruelle expérience à l’époque. Sans doute aurait-elle beaucoup à raconter. Promue depuis – sur France 2 – et en charge du traitement de sujets plus calmes, elle aussi s’est tue. L’y a-t-on, un peu, encouragée ? Mystère.
Quand les langues se délient
Après la sidération, la colère. Police, justice, municipalité, politiques…L’heure des explications sonne vite. D’abord à Cologne puis dans toute l’Allemagne. L’embarras des autorités contraste avec l’indignation des citoyens. Car les langues se délient. Plus de 500 plaintes enregistrées dans la cité. Et encore, l’affluence aurait été telle que bon nombre de femmes, découragées par l’attente, auraient renoncé. De Hambourg également, les nouvelles remontent. Elles ne sont pas bonnes. Cent-quatre-vingts plaintes au moins. Au bout du compte, 12 des 16 « länder » que compte le pays auraient été touchés. Un cauchemar national !
La maire de Cologne, croyant judicieux d’en rajouter, donne, d’emblée, dans la culture de l’excuse. « Les femmes n’ont qu’à tenir ces hommes en respect à distance d’un bras, conseille-t-elle, vaguement moralisante. »
Grotesque ! Du coup, les esprits s’échauffent, davantage encore, et la réprobation générale monte d’un cran. La chancelière se voit contrainte de sortir la rampe à incendie. « S’il est avéré que des migrants se sont rendus coupables de ces faits extrêmement graves, leur autorisation de séjour leur sera retirée », tranche-t-elle.
Prestement diligentées depuis, les investigations des policiers et des magistrats ont confirmé, en tous points, les témoignages des victimes. La quasi-totalité des auteurs de ces agressions sont des hommes, âgés de 17 à 30 ans, principalement originaires du Maroc, d’Algérie, de Tunisie, de Syrie, d’Irak et d’Afghanistan.
Bref : des faits. Accablants. Suffisants pour calmer les ardeurs des sourcilleux pourfendeurs de cette persistante « islamophobie » dont les ravages inonderaient l’Europe ? Sûrement pas !
Deux visions du féminisme face à face
D’emblée, les féministes allemandes se divisent. D’un côté, le traditionnel triptyque agrémenté, pour la circonstance, de considérations locales : ni amalgame, ni stigmatisation. Ces regrettables incidents s’expliqueraient par le « choc d’intégration ». D’ailleurs, les femmes subiraient les mêmes sévices pendant la Fête de la bière sans que cela ne choque personne.
L’argument, dans le camp d’en face, laisse pour le moins sceptique. « Un million d’hommes, issus de pays où les femmes n’ont qu’un droit, celui de se taire, viennent d’entrer en Allemagne, y fait-on valoir. Si l’on commence par les exonérer de toute responsabilité après des dérapages aussi graves, le pire est à venir. »
L’opinion publique semble avoir choisi son camp. En France, Clémentine Autain, l’une des égéries de « la gauche de la gauche », a fait le sien. Et son choix n’est pas celui que l’on aurait pu imaginer. Surtout de la part d’une féministe de longue date, assumée et revendiquée, victime elle-même d’une expérience douloureuse par le passé.
« Entre avril et septembre 1945, environ 2 millions d’Allemandes ont été violées par des soldats. La faute à l’islam ? », poste-t-elle dans un tweet vengeur.
@andreroux38 entre avril et sept 1945, environ 2 millions d’Allemandes ont été violées par des soldats. la faute à l’islam ?
— Clémentine Autain (@Clem_Autain) 12 Janvier 2016
Comme si le Vieux continent était déchiré par une guerre mondiale… Réflexe « pavlovien ». L’amour viscéral pour les « damnés de la Terre » – ou présumés tels – est décidément le plus fort.
Ce courant « féministe », à forte coloration « tiers-mondiste », et aux préoccupations humanistes à géométrie variable ne date pas d’hier. Dame Autain s’inscrit dans la lignée d’autres « combattantes » célèbres, « compagnes de route » des mouvements d’émancipation de peuples opprimés, qui ont mené ce combat avant elle.
Un « schisme » salutaire qui clarifie les choses
Mais les temps ont changé. La générosité doit rester une valeur cardinale de l’Europe mais l’angélisme, lui, n’est plus vraiment de saison. La gauche et la « société civile », en France comme de l’autre côté du Rhin, ont retrouvé, sur ces questions sociétales, une certaine liberté de parole qu’elles semblaient avoir perdues. Ainsi, Elisabeth Badinter, pour ne citer qu’elle, a rapidement, et dans son style caractéristique, « remis les pendules à l’heure » après ce énième amalgame fort discutable.
Il ne faut pas s’y tromper. Ce « schisme » féministe, salutaire en vérité, a au moins le mérite de clarifier les choses. Derrière lui s’esquissent les premiers contours du débat sur la laïcité – et, partant, du devenir de la République face à une certaine idée du « vivre-ensemble » – entre les deux gauches.
Celui-ci déchire aussi le vénérable Observatoire de la laïcité où s’affrontent désormais deux conceptions bien différentes de notre société. Un nombre croissant de Français pensent que nous n’en ferons pas l’économie. La gauche « bleu-blanc-rouge » existe encore. La tragédie du 13 novembre l’a enfin réveillée. Elle ne paraît plus décidée à laisser le monopole de valeurs essentielles, fondées sur 2 000 ans d’histoire judéo-chrétienne, entre les mains de gens qui, aux deux extrêmes de l’échiquier politique, prétendent les accaparer.
Sa voix porte toujours. Pour combien de temps ?
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