La guerre n’est pas qu’une affaire d’hommes. Dans son dernier roman, La Femme au colt 45, Marie Redonnet raconte une histoire d’exil, de guerre, de dictature religieuse et le chemin qu’une femme se trace seule dans le chaos. Lora Sander se voit d’abord arrachée à son mari et à son fils par le conflit qui déchire son pays. De l’autre côté de la frontière, exilée et sans papiers, ses protecteurs tombent comme des mouches : Manou, le pizzaiolo impuissant, Guido Rizi, spéculateur immobilier, Fredo, homosexuel clandestin, tous les hommes s’écartent d’elle. Les contrées imaginaires qui nous sont décrites, l’Azirie et la Santarie, ont pourtant des airs proche-orientaux, et les femmes ne sont pas supposées y être les héroïnes de quoi que ce soit. C’est qu’en plus de survivre, Lora va devoir apprendre à devenir elle-même. « On ne naît pas femme, on le devient », même et surtout quand les choses avaient mal commencé.
Parmi les traits qui distinguent Marie Redonnet de Simone de Beauvoir, le plus manifeste ici est que Lora Sander n’est ni une veuve de guerre éplorée, ni une victime blanche comme neige de la brutalité des hommes. Complexe, ambivalent, sombre, conquérant, le personnage est riche et fascinant comme une vraie héroïne. « Arriver seule dans une ville étrangère après avoir été violée par le chauffeur du camion qui m’avait prise en stop est une expérience éprouvante, encore plus parce que j’étais consentante. »
À la manière de Bernadette Lafont dans La Fiancée du Pirate, mais sur un autre plan, Lora détient un pouvoir phallique, son colt, qui fait fuir ou s’agenouiller les hommes. Elle jouit d’être violée à l’arrière du camion, de s’exhiber devant un infirme, et de pouvoir tenir les plus vigoureux à distance, elle jouit de se vernir les ongles et, honteusement, d’être délivrée de son mari. « Ce n’est pas parce que j’ai tout quitté et tout perdu que ma vie de femme doit s’arrêter. »
Un jour, dans le refuge pour jeunes en perdition qu’elle dirige avec une autre femme de poigne, tout manque pourtant de s’arrêter. Galvanisés par des prêches religieux qu’ils suivaient en cachette, deux pensionnaires ouvrent le feu sur leurs camarades et blessent mortellement la directrice. Le commentaire de Lora est glaçant : « Ils semblaient avoir chacun trouvé leur place. C’était seulement une apparence. »
Beaucoup auraient laissé là le chaos et regagné au pas de course leur pays, d’autant que celui de Lora retrouvait au même moment une paix relative. Elle décide de rester, jette son colt à la mer et reprend à bras le corps le projet impossible de réparer les esprits abîmés tant par la guerre que par le fanatisme. Elle ne vivra plus qu’en femme libre, n’aura de cesse de maintenir l’équilibre, convaincue que l’homme et la femme sont l’avenir de l’homme.
Marie Redonnet, La femme au colt 45 – Le Tripode, 112 pages.
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