Renégocier les traités européens ? Organiser un référendum sur l’appartenance à l’Union européenne ? Marine Le Pen en rêve, David Cameron en sue à grosses gouttes, ce qui en principe devrait inciter les souverainistes de tout poil, ou autres euro-récalcitrants, à se demander si le jeu en vaut la chandelle. Certes, Cameron n’a pas tort quand il dit que « plus d’Europe » n’est pas la panacée et qu’au contraire, « moins d’Europe » et davantage d’autonomie accordée aux parlements nationaux serait bénéfique. Mais comme toujours le diable se cache dans les détails… Et si les partenaires européens auprès desquels le Premier ministre britannique cherche un appui pour son projet de réforme de l’Union le suivent sur trois mesures phares qu’il réclame, la quatrième et dernière sème la discorde. Il s’agit pourtant du point essentiel des revendications de David Cameron : réduire l’immigration européenne.
Depuis bientôt trois ans, le Premier ministre britannique s’invite à des petits déjeuners, lunchs et dîners de dirigeants européens, essayant de leur arracher un accord de principe sur un paquet de réformes qu’il croit susceptibles d’améliorer le fonctionnement de l’Union et de la rendre moins bureaucratique aux yeux des citoyens- approfondir le marché unique et augmenter la compétitivité de l’Union, réduire la lourdeur administrative de Bruxelles, faciliter les échanges entre les pays de la zone Euro et ceux qui n’en font pas partie, accélérer les négociations internationales de libre-échange, supprimer la clause d’une « union sans cesse plus étroite » inscrite dans le traité de Rome de 1957 ou, à défaut, obtenir une dérogation pour la Grande-Bretagne. Une réforme de l’Union dans le sens souhaité par le conservateur mais europhile Cameron, conditionnera le « to be or not to be » du Royaume-Uni au club des Vingt-Huit.
Élu et réélu au poste de chef du gouvernement britannique grâce à la promesse d’organiser un référendum sur une éventuelle sortie de son pays de l’Union, Cameron continue à jouer les bravaches, comme lors de sa visite à Varsovie en décembre dernier lorsqu’il a déclaré: « Mon but est que la Grande-Bretagne reste dans une Union réformée. Si toutefois ce but ne pouvait pas être atteint, nous n’aurons rien à perdre. ». Un pari risqué si on prend en compte que, jusqu’à présent, aucun plan crédible et réaliste pour une Grande-Bretagne en dehors de l’Union européenne n’a été élaboré ni par les Conservateurs ni par les Travaillistes, contrairement à la façon dont on a procédé en Écosse avant le référendum sur l’indépendance. En fait, les citoyens du Royaume ignorent comment les Tories envisagent de remplacer les accords européens inscrits dans le cadre constitutionnel britannique, de quelle manière ils pourraient garantir à la City sa position d’épicentre financier de l’Europe, conclure de nouveaux traités commerciaux avec les pays-membres de l’Union et, surtout, maintenir une économie florissante basée sur une main d’œuvre bon marché venue d’Europe centrale. Pour avoir annoncé récemment qu’il restera à la tête du gouvernement même en cas d’échec du référendum, David Cameron semble conscient de la difficulté à répondre à ces questions.
Une lucidité retrouvée au fil des rencontres avec les représentants des derniers Etats-membres de l’Union, à commencer par le hongrois Viktor Orban et le Premier ministre polonais Beata Szydlo qui, poliment mais fermement, refusent d’entendre les doléances de Cameron quant au statut social des immigrés européens en Grande-Bretagne. David Cameron réclame en effet la suppression pure et simple de toute allocation sociale destinée à ces immigrés pendant les quatre premières années de leur séjour en Grande Bretagne. En outre, les immigrés de fraîche date n’auraient pas le droit de percevoir une quelconque aide sociale pour leurs enfants restés au pays et, par ailleurs, ne pourraient plus s’installer au Royaume-Uni sans une promesse de travail. Avec un bon sens assuré, David Cameron a expliqué dans le tabloïd allemand Bild la nécessité d’introduire cette réforme : « Nous souhaitons que les gens arrêtent de puiser dans les bénéfices de notre système social avant d’y contribuer. Tout comme l’Allemagne, la Grande-Bretagne respecte le principe de la libre circulation des travailleurs mais cela ne devrait pas signifier la liberté de profiter de nos avantages sociaux. » Ainsi, David Cameron a brillamment réussi à convaincre les convaincus, c’est-à-dire ses alliés de la CDU et de la CSU. Manfred Weber, député de la CSU à la tête du Parti populaire européen, s’en est enflammé au point de citer la proposition de Cameron à titre d’exemple à suivre pour tous les pays de l’Union. C’était sans prévoir les réactions des Européens de l’Est.
Pour Viktor Orban, qui a reçu David Cameron la semaine dernière à Budapest, le terme même d’«immigrés » paraît fortement inapproprié : « Entendre parler d’immigrés pour désigner les travailleurs temporaires hongrois en Grande-Bretagne nous blesse le cœur ! Les Hongrois travaillent honnêtement et leur contribution au budget britannique dépasse largement les bénéfices de la sécurité sociale qu’ils perçoivent. ». En clair, les « immigrés » viennent de l’autre rive de la Méditerranée et « l’immigration » ne peut désigner qu’un phénomène extrêmement négatif dont les récents événements de Cologne seraient l’illustration. Et Orban d’en conclure que les tentatives d’étouffer le scandale par la presse occidentale témoignent, par contraste, de la grande liberté des médias en Europe centrale…
Quant aux objectifs du Premier ministre britannique, rien ne se décidera sans un commun accord des quatre membres du groupe de Višegrad. Membre de cette union dans l’Union, la Pologne tient à la présence de la Grande-Bretagne dans l’Union européenne pour plusieurs raisons. Tout d’abord, la politique de sécurité et de défense commune n’existerait pas sans la Grande-Bretagne alors que les Polonais tentent de renforcer leur frontière orientale qui est aussi, rappelons-le, celle de l’Union européenne. Des soldats britanniques participent à des manœuvres en Pologne et patrouillent sur les côtes de la Baltique, au grand dam de Vladimir Poutine. Vu depuis Varsovie, Londres se dresse en unique rempart contre le nouvel impérialisme russe. Ensuite, les Polonais partagent avec les Britanniques un fort attachement à l’idée d’une plus grande souveraineté nationale au sein de l’Union. Enfin, la Grande Bretagne est le deuxième partenaire commercial de la Pologne, où elle a investi plus de trois milliards d’euros l’année dernière. Malgré cela, la Pologne est loin de consentir à payer n’importe quel prix pour éviter un Brexit. Le Premier ministre Szydlo s’est montrée intraitable quant à la suppression des aides sociales aux Polonais dont plus d’un million vit et travaille en Grande-Bretagne. Pourtant, immigrés de longue date, ces derniers ne seraient pas concernés par les mesures revendiquées, tandis que la bonne condition de l’économie polonaise limite considérablement les nouveaux départs.
En substance, le « niet » polonais anticipe l’élargissement des restrictions proposées par Londres à d’autres champs du marché commun tels que la libre circulation des marchandises, des capitaux et des services. Conservateur, le gouvernement polonais est encore davantage nationaliste et il était naïf de la part du Premier ministre britannique de croire que son homologue sacrifierait l’intérêt national par idéologie. Jedrzej Bielecki, éditorialiste du quotidien de droite Rzeczpospolita n’a manqué ni de perspicacité ni de cynisme en résumant la position polonaise : « Tony Blair a commis une erreur en ouvrant le marché du travail aux immigrés d’Europe centrale avant les autres pays de l’Union. De son côté, David Cameron s’est précipité inutilement avec sa promesse de référendum. La Pologne devrait aider le Premier ministre britannique à s’échapper de ce double piège. À condition toutefois que cela ne nuise pas à la raison d’état polonaise, qui s’appuie malgré tout sur le développement de l’intégration européenne. ». C’est dire que David Cameron ne devrait pas perdre de temps pour réviser sa copie s’il songe toujours à la tenue du référendum en 2016 ! Dans le cas contraire, c’est Vladimir Poutine qui risque de sabrer le champagne pour fêter le Brexit, autrement dit le début d’un processus de déstabilisation sans précédent de l’Union européenne.
*Photo: Sipa. Numéro de reportage : SIPAUSA31372937_000003.
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