L’affaire est grave. Parmi les trente noms sélectionnés sur la liste des auteurs éligibles au Grand Prix du prochain Festival international de la bande dessinée d’Angoulême, pas une seule femme. On croyait le monde de la BD « cool », progressiste, sans frontières ni préjugés, contre la violence, la misère et la guerre, pour la paix et surtout pour l’égalité(e) hommes-femmes. En bref, absolument et résolument Charlie. Alors on tombe des nues. Un collectif d’auteurs de BD, décidé à sauver l’honneur de la profession, a lancé un appel à boycotter le vote visant à désigner trois finalistes. « Nous nous élevons contre cette discrimination évidente, cette négation totale de notre représentativité dans un médium qui compte de plus en plus de femmes », écrivent ses membres. Certains auteurs présents sur la liste délictueuse se sont d’eux-mêmes retirés. Riad Satouff, l’un d’eux, a souhaité une prochaine liste plus « paritaire ». Daniel Clowes est quant à lui allé jusqu’à refuser purement et simplement que son nom soit pris en considération pour ce qui est devenu à ses yeux un « prix vide de sens ». Et une dizaine d’auteurs ont fait de même. Leur action et le brouhaha médiatique ont fini par faire plier la direction du Festival, qui a annoncé mercredi dernier que des femmes seraient finalement ajoutées à la sélection officielle.
A l’occasion de cette polémique – qu’on ne saurait qualifier de débat tant l’unanimité l’a disputé à l’indignation –, on a découvert qu’Angoulême avait en matière de parité un bilan catastrophique. Ainsi a-t-on appris avec horreur qu’en 42 éditions du festival, une seule femme – Florence Cestac, en 2000 – a été primée. Les plus indulgents rappelleront aussi que Claire Bretécher a été lauréate en 1983 du prix du « dixième anniversaire », qui n’est quand même pas le Grand Prix. Dos au mur de la honte, le délégué général de la direction artistique du festival en est venu à se justifier auprès du Monde : « Le concept du Grand Prix est de consacrer un auteur pour l’ensemble de son œuvre. Quand on regarde le palmarès, on constate que les artistes qui le composent témoignent d’une certaine maturité et d’un certain âge. Il y a malheureusement peu de femmes dans l’histoire de la bande dessinée. C’est une réalité. Si vous allez au Louvre, vous trouverez également assez peu d’artistes féminines. » Et il n’a pas tort : les femmes sont encore aujourd’hui très minoritaires au sein de la profession. Selon le dernier rapport de l’Association des critiques et journalistes de bande dessinée (ACBD), les créatrices représentent 12,4% des professionnels dans l’espace francophone. Le débat aurait éventuellement pu avoir un vague intérêt avec des arguments et des contre-arguments – on a fait remarquer au délégué général que plusieurs Grands Prix n’avaient pas encore 40 ans au moment de leur élection et on lui a cité plusieurs noms de femmes auteurs de BD mondialement reconnues – mais c’est alors que Fleur Pellerin a décidé d’intervenir. Et la ministre de la Culture nous a gratifiés d’une déclaration stupéfiante : « La culture doit être exemplaire en matière de parité et de respect de la diversité, le compte n’y est pas tout à fait. »
On était prêt à entendre les uns et les autres, on était même un peu surpris de l’absence de femmes dans le palmarès, mais cette déclaration clôt le débat. La question n’est plus de savoir si, oui ou non, des femmes méritantes ont été écartées, mais pourquoi une politique de quotas n’a pas été mise en place et depuis longtemps. Incroyable vision nounours de la « culture », qui deviendrait une sorte de « happening » organisé par la mairie et égayé par une musique d’ascenseurs. Est-ce que la ministre souhaite que les maisons d’édition publient autant d’auteurs mâles que femelles ? Que les théâtres montent autant de pièces écrites par des femmes que par des hommes ? Bref, est-ce que la culture est une sorte de RATP où on « recrute » des artistes comme s’il s’agissait de conducteurs(trices) de métro ? Allons-nous voir bientôt des petites annonces « Musée d’art contemporain cherche sculpteurs/peintres H/F » ? Et pendant qu’on y est, quid des auteurs de BD noirs, asiatiques, handicapés ou obèses ? On les laisse subir seuls l’odieuse injustice ?
*Photo : Wikimedia Commons.
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