Le livre le plus ambitieux écrit ces dernières années sur l’immigration, Exodus, How Migration is Changing Our World (2013), n’a malheureusement toujours pas été traduit en français.
Son auteur, Paul Collier, est un discret professeur de l’université d’Oxford. Avant de s’attaquer à ce qu’il qualifie de « tabou », l’éminent professeur s’était fait connaître par la publication de The Bottom Billion (« Le milliard d’en bas », en français), un livre portant sur les conditions de vie des habitants les plus pauvres de la planète, salué de manière unanime.
Pourtant, cette fois, la critique anglo-saxonne a été des plus virulentes tant il est dangereux, même pour un universitaire renommé, de s’attaquer au pensum qui veut que le bilan de l’immigration soit globalement positif, comme le disait Georges Marchais à propos de l’URSS.
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La méthode de Collier est cependant purement universitaire. Ce n’est pas un idéologue et il n’a pas d’a priori, il observe les conséquences économiques, sociales et culturelles de l’immigration, et il procède par une sorte de méta-analyse, en passant en revue la littérature scientifique existante.
Et que nous dit le professeur ? Tout d’abord, que l’ampleur du potentiel migratoire est systématiquement sous-estimée. Si, en 2003, l’administration britannique concluait qu’il n’y aurait pas plus de 13 000 Européens de l’Est qui voudraient immigrer chaque année en Grande-Bretagne à la suite de l’élargissement de l’Europe, ils furent en réalité un million dans les cinq ans qui suivirent ! Quinze fois plus que les « prévisions ». Par la magie du regroupement familial, sur une période de quarante ans, un immigré peut en faire venir sept ou huit autres. Des rappels utiles, alors que l’afflux de migrants à travers la Méditerranée, loin d’être endigué, a pris des proportions incontrôlables, et sachant que la population de l’Afrique va être multipliée par quatre avant la fin du siècle.
Avertissement également à l’égard d’Angela Merkel : Collier montre que l’immigration ne cesse jamais spontanément et a toujours tendance à augmenter, à moins d’être ralentie par des politiques publiques. Il note que les migrants privent aussi les sociétés d’origine de leurs individus les plus entreprenants (ce ne sont jamais les plus pauvres qui s’en vont) dont elles auraient pourtant tant besoin pour leur propre développement.
Le professeur démontre ensuite que ce sont les migrants qui reçoivent la plus grande partie des bénéfices liés à l’immigration. À l’inverse, le bilan est beaucoup plus mitigé pour le pays d’accueil. Les revenus réels tendent à diminuer dans le bas de l’échelle des salaires de même que l’accès au logement des résidents, et ce y compris pour les immigrés plus anciens. Et dans les écoles, les enfants de migrants ont besoin de plus d’attention que les autochtones. Ces derniers, lorsqu’ils sont en difficulté scolaire, ne bénéficieront donc plus de l’attention à laquelle ils auraient pu prétendre sans l’immigration massive.
Celle-ci fait aussi peser un risque sur les systèmes de sécurité sociale. Si la société apparaît trop hétérogène et si ceux (particulièrement les nantis et les classes moyennes) qui contribuent ont le sentiment qu’ils donnent une partie importante de leur revenu à des gens dans lesquels ils ne se reconnaissent pas, la solidarité, qui repose sur un pacte social consenti, pourrait se gripper. L’immigration entraîne également des phénomènes de repli, d’exode urbain ou d’émigration parmi les couches favorisées de la population.
D’après Collier, contredisant ainsi la vision angélique de la Commission européenne, l’immigration n’est pas non plus une solution au vieillissement de la population. Dans son analyse critique de la plupart des études publiées sur ce thème, il conclut : « Il est difficile de comprendre pourquoi il existe un large consensus parmi les économistes pour dire que l’immigration est une si bonne chose pour financer les retraites. » Un zeste d’idéologie se serait-il glissé dans les calculs des universitaires patentés ?
Après l’économie, l’auteur s’attaque à la cohésion des sociétés européennes. On peut ainsi tout à fait être citoyen au sens légal du terme tout en ne faisant pas partie de la société dans laquelle on vit. Une fois encore, le parcours des terroristes islamistes donne raison à notre professeur prophète. Selon lui, plus grande est la proportion d’immigrés dans une communauté, plus grande est la distance culturelle, et plus faible sera la confiance mutuelle entre les immigrés et la population autochtone.
Collier, qui est pourtant anglais, préfère l’assimilation « à la française ». Le rythme d’intégration est en effet plus lent lorsqu’un pays adopte le multiculturalisme. De même, des bénéfices sociaux généreux ralentissent le rythme d’intégration en incitant des migrants à rester parmi les couches les plus défavorisées de la société. Enfin, l’immigration massive ne serait pas compatible avec la persistance d’un sentiment national partagé et porté par l’ensemble de la société.
Il s’étonne également du « surprisingly limited » nombre d’études qui mesurent la criminalité parmi les migrants. Le coût du surcroît d’insécurité n’est jamais pris en compte. Le célèbre « bobby » de la police londonienne traditionnellement non-armée n’a pas résisté à l’offensive violente des gangs jamaïcains. Des pratiques de certaines sociétés d’origine telles que la violence, la corruption ou le clientélisme sont souvent importées dans la société d’accueil et la contaminent.
On le voit, le livre touche à une palette de sujets, tous d’une brûlante pertinence. Au terme de raisonnements rigoureux, il démonte un à un tous les lieux communs avancés sans preuve pour nous vendre les pseudo-vertus économiques et culturelles de l’immigration massive et du « vivre ensemble ».
Collier termine son livre en proposant un package de politiques publiques. Les États y sont invités à fixer des plafonds à l’immigration, être sélectifs dans ceux qu’ils décident d’accueillir et de développer des politiques d’intégration qui visent à l’assimilation. Il va jusqu’à proposer que les futurs travailleurs immigrants ne bénéficient pas des mêmes droits sociaux que les résidents actuels car ils n’ont pas encore contribué à la prospérité du pays d’accueil. Une proposition déjà partiellement mise en œuvre par le gouvernement de David Cameron issu des élections de 2015.
Mais sa conclusion est franchement pessimiste : les migrations vers l’Europe deviennent tellement importantes qu’elles pourraient dissoudre les identités nationales. Toutes les sociétés européennes courent le risque de devenir postnationales. Un livre publié deux ans avant le choc migratoire de 2015 sur le vieux continent, qui a vu pendant le seul mois d’octobre arriver plus de migrants qu’au cours de la totalité de l’année précédente.
Cette fois ce ne sont pas seulement des intellectuels polémistes comme Élisabeth Lévy, Éric Zemmour ou Alain Finkielkraut qui tirent le signal d’alarme, mais un professeur d’Oxford dans un livre austère bourré de références. À traduire d’urgence.[/access]
*Photo: Sipa. Numéro de reportage : AP21827253_000002.
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