Jean-Christophe Cambadélis l’a solennellement proclamé sur BFMTV : la déchéance de nationalité des binationaux nés Français, même condamnés pour acte de terrorisme, « ce n’est pas une idée de gauche ». Et d’ailleurs, promis, juré, ça ne l’a jamais été : « Nous avons toujours pensé que cela posait un problème », a-t-il assuré.
Quel problème ? Le député socialiste Pascal Cherki s’est chargé de nous l’expliquer : « Pendant la Deuxième Guerre mondiale, on a retiré la nationalité à mon père et à mon grand-père, ça marque. » Depuis, cet homme de gauche croyait que c’était fini, plus jamais ça : « Je considérais qu’il y avait une barrière infranchissable, que quand on naissait Français, on était Français, pour le meilleur et pour le pire… »
A gauche, de Cécile Duflot à Martine Aubry en passant par Noël Mamère, on a donc repris en chœur la ritournelle de l’indignation contre cette manière indigne de traiter les égorgeurs islamistes. Seule Ségolène Royal a introduit une fausse note, sur Europe 1, en déclarant : « Ça ne me choque pas du tout qu’un individu qui a porté atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation et qui a accompli des actes de terrorisme se voie retirer la nationalité française. »
Choquante ou pas, l’idée n’est en réalité pas si nouvelle. Mieux : parmi les nombreuses voix qui se sont élevées contre la constitutionnalisation d’une telle possibilité, certaines ont avancé un argument juridique imparable : la déchéance de nationalité pour les binationaux nés Français est déjà prévue par la loi.
L’article 27-3 du Code civil dispose en effet que « le Français qui se comporte en fait comme le national d’un pays étranger peut, s’il a la nationalité de ce pays, être déclaré, par décret après avis conforme du Conseil d’Etat, avoir perdu la qualité de Français. »
Ciel ! Cette « idée de la droite que le FN a ensuite repris », selon notre Camba national, a-t-elle été subrepticement introduite dans notre droit sous Pétain (dont bien des ministres et collaborateurs venaient de la gauche, mais c’est une autre histoire…) ? S’agit-il d’une survivance des heures les plus sombres de notre histoire ? Pas exactement. En réalité, elle est le résultat d’un décret-loi du 12 novembre 1938 porté par le radical Edouard Daladier.
Pour mémoire, ledit Daladier a combattu les ligues en 1934 et participé à l’élaboration du programme du Front populaire l’année suivante, avant d’être arrêté sous Pétain et déporté en Allemagne de 1943 à 1945. Enfin, après la guerre, il a poursuivi sa carrière politique en tant que président d’un mouvement baptisé Rassemblement des gauches républicaines.
Affirmer comme le fait le patron du PS que « ce n’est pas la gauche qui a mis ça à l’ordre du jour », et sous-entendre qu’il s’agirait d’une idée d’extrême droite inspirée de Vichy est donc, au bas mot, un peu gonflé.
Dans une interview à Rue89, l’historien Patrick Weil rappelle que la déchéance de nationalité de binationaux nés Français est « intégrée à notre législation depuis 75 ans », et qu’elle « a été appliquée à quelques centaines de personnes », parmi lesquelles « des collaborateurs » à la Libération. Il ajoute que « son utilisation est malheureusement aujourd’hui justifiée », à la simple condition de réécrire l’article 27-3 pour l’adapter à la lutte contre le djihadisme.
« Pas une idée de gauche », la résistance au totalitarisme et à la barbarie par tous les moyens juridiques disponibles ? Pour Noël, la gauche fait un beau cadeau à Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen…
*Photo : SIPA.00733543_000002.
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