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C’est loin, l’Amérique…


C’est loin, l’Amérique…
James Ellroy

James Ellroy

Fan absolu de James Ellroy, j’ai bien sûr acheté dès le matin de sa sortie Underworld USA, son dernier roman et ultime volet de la trilogie éponyme, entamée avec les fabuleux  American Tabloïd (1995) et American Death Trip (2001). Cela dit, depuis, il est resté intact sur ma table de nuit. Je ne l’ai même pas sorti de son sac plastique de « L’Ecume des pages « . Je fais durer le plaisir. Et ça risque d’être long : je n’ai toujours pas lu une ligne de La main de Dante, le dernier roman de Nick Tosches, paru il y a sept ans pas plus que de La Princesse du sang le dernier texte, inachevé, de Jean-Patrick Manchette publié il y a une bonne douzaine d’années.

Mais bon, regarder ma dernière acquisition en chien de faïence ne m’empêche pas de d’entretenir mon vice. Et pour rien au monde, je n’aurais loupé l’interview de James Ellroy ce matin sur Inter chez Nicolas Demorand. Pour ne rien vous cacher, je ne connais pas bien ce garçon. Contrairement à Elisabeth, le matin, j’écoute plutôt Europe, son Marc-O, son Elkkabach et son Canteloup. Et pour tout vous dire cet entretien m’a un peu décontenancé. Non pas que l’intervieweur soit mauvais, il est largement au-dessus de la moyenne, il aime et respecte (et connaît !) l’auteur à qui il s’adresse, ses questions sont pertinentes, et souvent inattendues. Mais je l’ai senti totalement distancé par Ellroy, son refus du chichi, sa percussion, ces uppercuts à répétition.

Au tout début de l’interview, avant même que Nicolas ait abordé la question qui fâche, Ellroy s’empresse de déclarer liminairement « Je suis très à droite ! ». J’imagine que Demorand avait choisi de conserver cette question délicate entre toutes, surtout en France, pour la fin de l’entretien. Et j’imagine que James Ellroy le finaud s’en doutait un peu, et qu’il a décidé, dès l’entame, de semer sa zone. Oui, son livre est politique, et oui il veut donc parler de politique, et aller au choc. Ça commence donc très rock n’roll, mais Nicolas, prudent, évite la confrontation d’emblée, et préfère lui parler de littérature et d’histoire contemporaine ( le livre évoque les années Johnson-Nixon) et du subtil rapport entre personnages réels et fictifs. Sauf qu’Ellroy, lui, veut en découdre, il veut expliquer que c’est parce qu’il est de droite qu’il a voulu faire ce livre tel qu’il l’a fait , à savoir « raconter le cauchemar privé de la politique publique « . Ce que Nicolas, visiblement un peu gêné aux entournures d’admirer un écrivain aussi peu progressiste traduit à sa façon en le sollicitant d’avouer qu’il est un « pessimiste radical ». Sauf qu’Ellroy l’envoie aussitôt bouler : « Je suis un optimiste radical ! Je crois que les gens changent Je crois en Dieu, je crois que la vie est superbe, et je crois que c’est un plaisir d’écrire des romans » Et à partir de là, James-la-terreur déroule, personne ne l’empêchera plus de parler politique, et surtout pas son intervieweur complètement déboussolé…

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Lequel est donc bien obligé de venir, assez solennellement sur le terrain miné choisi par son invité: « James Ellroy, ça veut dire quoi être de droite pour un romancier ?  » Réponse hilare de l’intéressé : « Ça veut dire que je veux payer moins d’impôts et garder le plus possible de mon blé. » Relativement indigné, Nicolas réplique aussitôt  » Mais c’est comme pour n’importe quel chef d’entreprise ! » Ce qui oblige Ellroy à mettre les points sur les i, et même un peu les poings : « Moi, j’en ai marre des réflexes anti-patrons. Je vais fonder ma propre entreprise, et racheter France Inter. Vous devrez tous saluer le drapeau américain en entrant. Et ma mascotte sera le pittbull.  » Tout le reste de l’entretien sera à l’avenant : Nicolas a beau s’accrocher, il ne sait plus si c’est du lard ou du cochon, si Ellroy dit vraiment ce qu’il pense, ou s’il multiplie à l’envi les provocations. On sent que Nicolas Demorand cherche désespérément à faire la part des choses, et c’est justement là son erreur : le discours d’Ellroy est consubstantiellement sincère et provocant. Impossible de séparer ce que Dieu a uni.

En résumé, on reconnaîtra volontiers à Demorand son honnêteté, son absence de haine idéologique, sa connaissance rigoureuse de l’auteur et son œuvre, toutes choses pas si courantes ces dernières décennies. On déplorera néanmoins le décalage total qui s’est établi entre l’interviewé et l’intervieweur, qu’on aurait senti manifestement plus à l’aise face à un Rambaud, un d’Ormesson ou une Darrieussecq, bref face à un écrivain français standard, qui respecte les codes en vigueur y compris ceux de la fausse impertinence et de la provoc à deux balles. Là, il a affaire à un vrai déjanté, et en plus américain, réac, chrétien, féministe, et à part ça génial et ravi de l’être. Ça fait beaucoup pour un seul Demorand…

Underworld USA

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Février 2010 · N° 20

Article extrait du Magazine Causeur



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