Islamo-gauchistes: c’est la faute à la France!


tariq ramadan npa besancenot

Après le 7 janvier, déjà, le délai de décence n’avait pas été très long. Et nombreux étaient ceux, parmi les rangs de la gauche radicale, à laisser entendre, ou parfois même à dire ouvertement, que les dessinateurs de Charlie avaient eu la plume un peu lourde quand il s’agissait du Prophète, laissant trop souvent s’exprimer un humour aux relents « islamophobes ». Les dessinateurs étaient morts pour avoir un peu trop dessiné, les policiers pour avoir un peu trop protégé. Et les juifs… Parce qu’ils étaient un peu trop juifs.

Bref, tout bien pesé, les sacrifiés des 7 et 11 janvier l’avaient sans doute un peu cherché, sinon dûment mérité.

Au Bataclan, ne se tenait pas une réunion de dessinateurs de prophètes et aux terrasses des cafés visés ne se pressaient que des jeunes et innocents leveurs de coudes. Difficile, donc, de défendre l’hypothèse que ceux-là aient dépassé les bornes.

Dix mois après Charlie, l’argument des provocations supposées « islamophobes » s’est écrasé sur les terrasses parisiennes.

Pourtant, la cohorte désormais connue des piètres penseurs, qui trouvent systématiquement des excuses à des hordes de terroristes fanatisés et aiment à présenter les bourreaux en victimes, n’a pas tardé à dégainer ses nouveaux éléments de langage : le prêt-à-penser de la victimisation du poseur de bombes.

C’est le NPA qui a d’abord expliqué que la guerre menée par l’État islamique à l’Occident n’était qu’une réponse aux bombardements menés par l’armée française contre l’organisation terroriste. L’argument pourrait s’entendre si dans son communiqué le parti d’Olivier Besancenot ne mettait pas sur un pied d’égalité la violence des attentats parisiens et les bombardements de l’armée française.[access capability= »lire_inedits »]

« Cette barbarie abjecte en plein Paris répond à la violence tout aussi aveugle et encore plus meurtrière des bombardements perpétrés par l’aviation française en Syrie, suite aux décisions de François Hollande et de son gouvernement. La barbarie impérialiste et la barbarie islamiste se nourrissent mutuellement. Nous refusons toute union nationale avec les responsables des guerres, la bourgeoisie, Hollande, Sarkozy et Le Pen », écrit ainsi le parti d’Olivier Besancenot.

 

Dans la géopolitique ultrarudimentaire qui sert de vision du monde au NPA, les bombardements effectués par l’armée d’un État démocratique contre un groupe terroriste n’ont ainsi pas plus de sens que le massacre aveugle d’innocents venus écouter un concert. Dans ce monde binaire où tout se vaut, et où le terrorisme serait légitimé par la politique étrangère des puissances occidentales, le NPA pratique le révisionnisme historique en faisant de l’État islamique un simple golem de l’« axe du Bien », niant le contexte local, le rôle joué par les monarchies du Golfe dans sa montée en puissance, et occultant par ailleurs totalement le conflit géant interne à l’islam.

Sur son blog, Julien Salingue, chercheur sur la question palestinienne, a publié, lui, dès le samedi 14 novembre, un billet de la même eau intitulé « vos guerres, nos morts », devenu, depuis, le hashtag de ralliement de tous les néopacifistes (« leurs guerres, nos morts ») : « Vous êtes en guerre, vous les Sarkozy, Hollande, Valls, Cameron, Netanyahou, Obama. Vous êtes en guerre, vous et vos alliés politiques, vous et vos amis patrons de multinationales. Et vous nous avez entraînés là-dedans, sans nous demander notre avis. Afghanistan, Iraq, Libye, Mali, Syrie… Nous n’avons pas toujours été très nombreux à protester. Nous n’avons pas suffisamment réussi à convaincre que ces expéditions militaires ne feraient qu’apporter toujours plus d’instabilité, de violences, de tragédies. »

Depuis, Michel Onfray s’est lui aussi rallié à ce camp de la paix et du juste « retour de bâton ». Dans une « mise en perspective » en 140 signes, le philosophe estime que « Droite et gauche qui ont internationalement semé la guerre contre l’islam politique récoltent nationalement la guerre de l’islam politique ». Une prise de position qui a tellement plu à l’État islamique qu’il s’est permis de la relayer dans une de ses vidéos.

Le site Acrimed, qui a abandonné depuis longtemps la salutaire critique des médias pour la propagande, a laborieusement tenté de relativiser les prises de positions des uns et des autres, ne voyant là que des voix « dissidentes » ou « discordantes » que le « parti des éditorialistes faucons » ne saurait entendre. L’argument est un peu court.

Le débat est légitime, encore faudrait-il ne pas se tromper de sujet. Si le terrorisme ne se combat pas par la guerre – c’est même sans doute un contresens que de croire que des bombes suffiront à anéantir un tel adversaire –, la mécanique intellectuelle qui consiste à faire peser la responsabilité des victimes sur les dirigeants occidentaux relève, en l’espèce, de la mystification. C’est un autre combat que mènent ici les bataillons islamo-gauchistes : contre le virage – largement critiquable – atlantiste et néoconservateur de la diplomatie française, et encore plus sûrement contre la prise de distance de cette même diplomatie avec les Palestiniens dès la fin de la présidence Chirac. Cette partie minoritaire de l’extrême gauche, avec laquelle Mélenchon garde ses distances, se trompe de cible, focalisée sur la question palestinienne, le contexte social et l’histoire coloniale. Autant de procédés peu glorieux qu’elle partage, en l’occurrence, avec les recruteurs de l’État islamique chargés d’attirer les jeunes Occidentaux.

Cette gauche radicale a d’autres ressources dans sa besace, dont l’« excusisme » reste l’argument suprême. Et le suspense n’a pas duré longtemps quant à savoir qui allait nous expliquer en premier que les kamikazes n’étaient en fait que de pauvres victimes d’une société qui n’aurait eu de cesse de les rejeter.

Les Indigènes de la République, particulièrement virulents à l’égard de Charlie Hebdo accusé de fascisme anti-islamique, ont joué l’effet « double lame » : la politique étrangère française s’expliquerait par l’« islamophobie » qui caractérise la politique intérieure française. « La France connaît le retour de flamme d’une politique étrangère belliciste en Libye, au Mali, en Syrie, en Irak […], motivée par la stratégie du “choc de civilisations” et son corrélat interne que sont le racisme et l’islamophobie d’État ». La boucle est bouclée.

Dans la chronique du Yéti intitulée « notre irresponsable part de responsabilité », l’hebdomadaire Politis a, lui, préféré dénoncer la stigmatisation et la ghettoïsation sur notre sol des populations musulmanes. En tirant, de facto, la conclusion suivante : « Faut-il s’étonner ensuite que le chaos que nous avons semé au Moyen-Orient nous frappe de plein fouet ? Sous forme d’actions solitaires isolées pour commencer, sous forme maintenant d’attaques simultanées organisées en meute, avec la volonté de tuer un maximum de gens ? »

Sur son blog, l’économiste Paul Jorion a accueilli le billet d’un certain Anton Klimm, auteur de l’analyse sociologique la plus indigente qui soit : « Est-il légitime de se demander pourquoi certains se retrouvent du “bon” côté et d’autres, du “mauvais” ? » Entendant par là d’un côté « des jeunes performants » et de l’autre « les assassins, sans moyens financiers » qui se « voient barrer l’accès à la fortune dès la naissance ». Suffisant, selon l’intéressé, pour tenter d’expliquer un tel passage à l’acte.

De plateaux télé en interviews dans L’Humanité ou L’Obs, le sociologue Raphaël Liogier, icône des milieux islamo-gauchistes depuis un livre au titre plein de promesses Le Mythe de l’islamisation, développera partout sa thèse des « ninjas de l’islam ». Le djihadisme n’aurait ainsi rien à voir avec l’islamisme, mais résulterait avec d’un manque de reconnaissance, des problèmes de virilité ou encore de l’absence du père. sans jamais L’auteur oublie de s’interroger sur le rôle éventuel du religieux dans ces failles spécifiques. Les bouddhistes, les juifs, les chrétiens n’auraient-ils pas de problèmes de virilité ? Évoquant un « djihadisme sans islamisme », Raphaël Liogier conteste totalement que le fondamentalisme islamiste est soit un projet politique et religieux qui se nourrit de l’islam.

Dans le même déni, Edwy Plenel avait déjà été d’une formidable ambiguïté pendant tout le mois de janvier, lors de ses sorties médiatiques après les attentats de Charlie Hebdo, incapable d’énoncer clairement sa pensée tellement pleine de sous-entendus : « On peut être Charlie et on peut ne pas l’être tout à la fois. On peut être Charlie en disant qu’évidemment nous sommes du côté de ceux qui ont été massacrés. Et on a tout à fait le droit de ne pas être Charlie en disant : “Je ne suis pas obligé d’apprécier.” »

Le danger n’était déjà pas alors le terrorisme mais la laïcité ou la stigmatisation des populations musulmanes. À trop fréquenter des Tariq Ramadan et à fustiger régulièrement ceux qu’il appelle désormais les « laïcards », celui qui défendait autrefois mordicus le dessinateur Siné dans son droit à la caricature et à la provocation n’avait eu de cesse de louvoyer : « Aujourd’hui, en France, il y a une forme de laïcisme, d’interprétation sectaire, dogmatique, dominante, exclusive de la laïcité qui fait que moi qui suis areligieux, je veux aussi défendre la liberté de ceux qui croient. De ceux qui ont des croyances, des convictions qui, pour moi, sont des opinions ».

Transformé en Gandhi d’opérette, dépourvu de ses arguments sur le caractère provocateur des caricatures et le « laïcisme », Plenel n’est pas tombé dans l’outrance des Besancenot et autres Indigènes de la République. Bien plus préoccupé par le « virage sécuritaire » que par la menace islamiste, le fondateur de Mediapart s’est contenté d’un appel à « faire société ». La belle affaire ! L’équivalent sociétal de la fête des voisins serait donc la réponse au terrorisme islamiste… Et pourquoi pas tendre l’autre joue ! À peu près aussi indigent que tous les Jean Moulin de bistrots qui prétendent résister à l’ennemi en retournant boire un coup.

Sa recette ? Edwy Plenel n’en dit évidemment pas un mot, se perdant en de vaines paroles – « la peur est notre ennemie » – pour mieux nier qu’en l’occurrence l’ennemi est identifié : le radicalisme musulman qui recouvre pour l’essentiel le salafisme djihadiste. Dans sa prose angélique, Plenel évite soigneusement le sujet quand même le président de la République, d’une prudence de Sioux jusque-là, a fini par lâcher le mot interdit, évoquant pour la première fois des « jeunes islamistes radicalisés » devant le rassemblement des maires de France.

Non, les islamistes radicaux ne sont pas des victimes de la misère ni de la colonisation, encore moins de l’islamophobie, et ne sauraient servir de prolétariat de substitution à une certaine gauche de la gauche en panne de sublimation politique. Dépossédée du monopole de l’utopie politique révolutionnaire par la nature radicale de l’intégrisme islamique, une partie de l’extrême gauche pourrait être contrainte à un véritable aggiornamento par les événements du 13 novembre.

Face à une société en voie de désintégration, incapable d’incarner ses propres valeurs, d’assumer son identité nationale, l’État islamique propose, en effet, l’alternative d’un projet autrement plus mobilisateur : une identité totale, défendue par les armes, dans un combat sans retour. Autant dire que, sans autre combustible spirituel que les pauvres pis-aller de la consommation et de l’accomplissement de soi, l’Occident ne fait pas le poids contre une lutte spirituelle, politique, identitaire et militaire à haute teneur en exaltation. En 2005, Jean Baudrillard annonçait déjà cette fracture dans Libération : « Une bonne part de la population se vit ainsi, culturellement et politiquement, comme immigrée dans son propre pays, qui ne peut même plus lui offrir une définition de sa propre appartenance nationale. Tous ces exclus, ces désaffiliés, qu’ils soient de banlieue, africains ou français “de souche”, font de leur désaffiliation un défi, et passent à l’acte à un moment ou à un autre ».

C’est bien le rapport de tous ces « déracinés » à la nation, seul véritable référent politique comme l’a prouvé le retour quasi instantané aux frontières intérieures au moment de l’agression, qu’interrogent les attaques du 13 novembre. Quant aux sans-frontiéristes, qui ont systématiquement œuvré à dénigrer la nation française, ils devraient peut-être s’interroger sur leurs responsabilités. Leur rêve néo-tiers-mondiste s’est fracassé le 13 novembre sur des terrasses parisiennes. Il est parfois des retours au réel ravageurs.[/access]

*Photo: Sipa. Numéro de reportage : 00614466_000004.

Décembre 2015 #30

Article extrait du Magazine Causeur



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