André Malraux, au travers d’une citation si souvent galvaudée, nous avait prévenus que le XXIe siècle « serait religieux ou ne serait pas ». L’espérance communiste, religion de substitution, fut la grande passion du XXe siècle. Se prétendant matérialiste et scientifique, elle se revendiquait de l’héritage des Lumières. L’imposture s’est effondrée. La chute de l’URSS et La fin de l’histoire nous annoncèrent que pour notre Foule sentimentale, l’horizon indépassable était l’extension indéfinie de la sphère marchande. Le problème, comme l’a relevé Alain Souchon, c’est que cette foule « a soif d’idéal, attirée par les étoiles, les voiles, que des choses pas commerciales ». Les religions en place y ont vu une opportunité pour essayer de reprendre du poil de la bête. La montée de l’islam politique a été considérée comme le principal symptôme de ce qu’annonçait Malraux. Mais en fait, de nouvelles croyances ont surgi. Et c’est là que « les Lumières » ont commencé à baisser.
Par leur engagement contre les oppressions religieuses et politiques, les représentants du mouvement des Lumières se voyaient comme une élite avancée, œuvrant pour un progrès du monde. Affrontant à l’aide de la raison l’irrationnel, l’arbitraire, l’obscurantisme et la superstition des siècles passés, ils voulaient procéder au renouvellement du savoir, de l’éthique et de l’esthétique de leur temps. Ébranlant les certitudes anciennes, ils ont tracé une route empruntée par les deux siècles suivants, qui accouchèrent à partir de cet élan des révolutions industrielle, scientifique et technique, remises en cause désormais par de nouvelles croyances.
La plus intéressante est celle qui prend racine dans la prise de conscience écologique. D’abord, parce que les prémices qui y poussent sont fondés. L’humanité, devenue espèce invasive, pourrait voir son succès reproductif remis en cause par les raisons mêmes qui l’ont produit. En un mot, nous foutons le bordel dans notre maison. Depuis quatre milliards d’années la planète en a vu d’autres, et dans les cinq prochains elle en verra d’autres. Mais là, il s’agit de nous-mêmes et de nos enfants, et ce serait une bonne idée de s’en préoccuper. En tentant de préférence d’échapper aux mauvaises habitudes, comme le retour à la pensée magique, l’effacement de la raison, la peur de la science et de la technique, et la sacralisation de nouveaux totems. Malheureusement, une nouvelle religion s’impose : celle de Gaïa, notre planète, la déesse mère, dont on nous serine absolument tous les jours qu’il faut la respecter et la sauver. Beaucoup y voient une nouvelle idéologie. C’est plus que ça.
Ainsi le nouveau culte de la planète-mère semble bien lié à la mondialisation. Nos identités de rattachement ne sont pas si nombreuses. Depuis une trentaine d’années, aux anciennes de la famille et du territoire national est venue s’ajouter celle de l’appartenance à un monde globalisé. Et cette appartenance a besoin de ciment et de foi. Le culte de la planète mère va-t-il faire l’affaire ? L’utilité politique de croyances communes, pour souder une société politique, est une évidence historique. À Constantinople, l’empereur Théodose, pragmatique, avait fait du christianisme la religion de l’Empire Romain en 380 après J.-C. Recevant une délégation d’évêques venus de Gaza pour se plaindre du manque de piété de leurs ouailles, il avait répondu : « Certes, mais les impôts rentrent bien, c’est le principal. »
La première étape de cette transformation fut de disqualifier la science dont le « culte » nous avait conduits à cette situation angoissante : montée de la pensée magique, succès étonnant de charlatans médiatiques, expression de peurs irrationnelles, auxquelles intellectuels et scientifiques ont tenté de réagir. L’anathème est immédiatement tombé : « scientistes » ! La science – coupable de tous les maux puisqu’à l’origine du développement invasif de l’espèce humaine – s’est retrouvée disqualifiée. Et avec elle la méthode scientifique a été invalidée. Un relativisme ravageur en a fait un récit parmi d’autres.
Les OGM, par exemple, dont le refus relève d’un réflexe de peur de la manipulation du vivant. La démarche des opposants ne reposait pas sur une démarche scientifique. La science a démontré que la nature procède elle-même à la modification génétique, jusqu’à la création d’OGM « naturels ». Et que leur utilisation déjà ancienne n’a jamais eu de conséquences négatives ni sur la santé ni sur l’environnement. Au contraire, si l’on pense à l’affaire du « riz doré ». Au discours scientifique, furent alors opposés des discours directement politiques ou religieux. Les OGM c’est le capitalisme prédateur pour les uns, la manipulation du vivant donc de l’œuvre de Dieu pour les autres. Ou les deux à la fois. Vade retro Satanas !
La question du « réchauffement climatique » représente une autre étape et le clou suivant enfoncé sur le cercueil de la pensée des Lumières. Nous ne nous prononcerons pas ici sur la réalité de ce réchauffement et sur le caractère anthropique de son origine. De toute façon, le débat raisonné est désormais impossible, il sera bientôt interdit.
Car derrière lui se profilent enjeux économiques, géostratégiques et politiques, au cœur desquels se trouve la contradiction économique entre le Nord et le Sud.
Singulière ruse de l’Histoire, l’Occident a inversé l’équation. La nouvelle religion reposera sur la science – mais une science officielle figée, non discutable – en rassemblant laboratoires et scientifiques de nombreux pays, dans une instance intergouvernementale, par conséquent politique. Sur la base d’une orientation fixée au préalable, le GIEC est devenu le support de l’expression d’une « vérité scientifique » qui doit s’imposer à tous. La bonne foi des scientifiques du GIEC n’est pas en cause. Simplement, les budgets, les subventions, les carrières sont fonctions du camp choisi. Les sceptiques ou les opposants sont vilipendés, ostracisés, ridiculisés. Et bien sûr systématiquement accusés d’être payés par les lobbies. Le réchauffement climatique est peut-être une réalité, mais il est aujourd’hui interdit ne serait-ce que d’en douter. Et là se loge le renversement. Le nouveau dogme est fondé sur la science, mais au détriment de la méthode scientifique qui impose le doute et la remise en cause. Nous avions eu sous Staline la « science prolétarienne », il faut désormais adhérer à la « science citoyenne », où ce qui compte est moins la compréhension d’une réalité scientifique difficile que l’adhésion du plus grand nombre. Une équipe de chercheurs s’est penchée sur les rapports du GIEC et leurs synthèses, rédigés à l’attention des gouvernants. Ils en ont conclu que « même des textes d’Albert Einstein » étaient plus faciles d’accès, et « ils sont si difficiles à comprendre qu’il faut un doctorat au minimum pour en saisir les recommandations ». Qu’à cela ne tienne, l’argument d’autorité devrait suffire.
Comme toujours, il faut à la nouvelle religion culpabiliser l’homme, d’où vient tout le mal, et lui indiquer le chemin de la rédemption. Identifier les hérésies, chasser et punir les hérétiques. Les sceptiques, dubitatifs, interrogatifs sont des « connards » nous dira NKM, doivent être fichés affirme Corinne Lepage, virés de leur boulot dit-on à France2, sont des « négationnistes » assènent les ahuris, des criminels méritant la prison salivent les amateurs de punitions. En attendant pire. Il s’agit d’un phénomène classique, dont la religion chrétienne a donné un bon exemple lorsqu’elle est devenue religion de l’empire romain. Il y eut beaucoup plus d’exécutions pour hérésie dans les trois siècles qui suivirent son avènement comme religion d’État que de martyrs chrétiens dans les trois qui l’ont précédé.
Autre exigence, débusquer le Diable. Jacques Ellul, précurseur et gourou post-mortem l’avait vu dans l’avènement de la « technique ». Pour les OGM, ce sera Monsanto qui, pour gagner du temps, aurait dû s’appeler Monsatan. Pour le réchauffement, les anges déchus sont plus nombreux : lobbies pétroliers, scientifiques dévoyés, Chinois avides de consommation, Africains corrompus… Et enfin, il faudra béatifier quelques originaux, adeptes de fausses sciences et de nouvelles ascèses.
Le débat est rendu très difficile, sinon impossible, par l’utilisation massive de l’argument d’autorité. Car cette fois-ci, le dogme est nous dit-on s.c.i.e.n.t.f.i.q.u.e. Situation assez étonnante, on voit dans un phénomène aux connotations religieuses évidentes l’affirmation d’une vérité non plus révélée, mais désormais prouvée. J’avais pourtant retenu de l’enseignement des Lumières qu’il y avait des méthodes, des hypothèses, des découvertes et des théories scientifiques, mais pas de vérité définitive. Ce retour de la pensée magique veut nous dire le contraire.
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