La France en état d’urgence, une place de la République encore sous le choc du 13 novembre, des Parisiens sonnés par l’atmosphère post-apocalyptique : le décor est planté. Hier, à la veille de l’ouverture de la Conférence sur le climat (Cop 21), une poignée d’« écolos-libertaires-anarchistes » (rayez les mentions inutiles) s’est violemment opposée aux escadrons de CRS aux abords de la République. Jetant des chaussures contre la maréchaussée pour protester contre l’interdiction de leur manifestation, les Black Blocs, traditionnels fauteurs de troubles en marge des sommets du G8, ont provoqué les forces de l’ordre, s’attirant une volée de gaz lacrymogènes en guise de riposte policière. Brûlant des drapeaux bleu-blanc-rouge, certains sont allés jusqu’à piller le monument improvisé en hommage aux victimes des derniers attentats pour lancer des bougies aux CRS. Sacrilège suprême que cette atteinte à la mémoire des 130 victimes du vendredi 13, de la part de ces antifascistes imbibés de nihilisme. Le bruit du vol d’un hélicoptère quadrillant le quartier complétait cette scène digne des pires séries B. Bilan de la journée : 341 arrestations, 317 gardes à vues et Mediapart qui crie à la dictature policière.
Pour un peu, on se croirait revenu au temps béni de la Manif pour tous, en ces journées printanières de 2013 où les CRS chargeaient des bandes de jeunes opposés à la loi Taubira en les asphyxiant parfois au moyen de gaz lacrymogène sur la pelouse de Invalides. Que n’a-t-on alors entendu Mediapart et les vigies de « l’autre gauche » s’indigner des interpellations arbitraires et l’internement inique du jeune Nicolas, incarcéré plusieurs semaines à Fleury pour avoir défilé contre le mariage pour tous ! Mais voilà, ces jeunes gens polis et pacifiques n’avaient pas le bon goût de voter à gauche…
Il faut bien l’admettre : pour la bonne presse, le jeune antifa est un übermensch. A fortiori par gros temps démocratique, quand le pouvoir exécutif n’a d’autre recours que l’état d’urgence pour (tenter de) désarmer les caves islamistes et parer au plus pressé. Voudraient-ils légitimer cette politique de l’urgence que les Black Blocs ne s’y seraient pas pris autrement. Faire assaut de violence pour provoquer l’adversaire et dénoncer la réaction policière est le b.a-ba de tout contestataire sans foi ni loi. Il y a une quinzaine d’années, au plus fort des émeutes contre le sommet du G8 à Gênes, ces Netchaïev postmodernes s’étaient déjà illustrés en entraînant l’un des leurs vers une mort annoncée[1. Tué par une balle des carabinieri le 20 juillet 2001 alors qu’il s’apprêtait à jeter un extincteur sur leur jeep, Carlo Giuliani est devenu un martyr de la cause altermondialiste.].
En Italie comme à Paris, l’antifa remplit une fonction policière bien précise : discréditer, à son corps défendant, toute idée de contestation. Flics zélés du système qu’ils prétendent combattre, ces adeptes de la barre de fer légitiment a posteriori l’assignation à résidence d’innocents zadistes, militants de la cause animale et autres « écolos radicaux » pendant la durée de la Cop 21. Traités comme de vulgaires apprentis-djihadistes, ces derniers font les frais du manque de discernement gouvernemental, lequel peut désormais s’appuyer sur les voies de fait d’hier. Un peu plus loin dans l’Est de Paris, tandis que le désordre régnait à République, à l’appel d’Edwy Plenel, dix mille Parisiens formaient une chaîne humaine en signe de protestation contre l’état d’urgence. Organiser une manif contre l’interdiction de manifester – pour raisons de sécurité – n’est pas le dernier des paradoxes.
Il faut dire que l’« antifascisme de manière, inutile, hypocrite et, au fond, apprécié par le régime » (Pasolini) ne recule devant aucune facilité. Quoi qu’en diront les lecteurs de Mediapart, si les émeutiers de dimanche se révèlent littéralement indéfendables, ce n’est pas tant en raison de leur indécence commune – laquelle leur a fait allègrement profaner le temple laïc de la République – qu’à cause de leur profonde bêtise. Comme leurs meilleurs ennemis skinheads, mais à une échelle de violence bien supérieure, ces orphelins du XXe siècle tournent sans fin dans la nuit à la recherche d’un ennemi rassurant (l’Etat policier, la bourgeoisie, le flic raciste et misogyne…). Le péril islamiste, hélas bien réel, sied si mal à leur esprit anachronique qu’ils préfèrent l’ignorer, voire le railler. Leur désordre est la continuation de l’ordre par d’autres moyens.
*Photo: Sipa. Numéro de reportage : 00732558_000002.
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