Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes vient de publier une brochure intitulée « Guide pratique pour une communication publique sans stéréotype de sexe ». Elle vise, grâce à dix recommandations pratiques, à aider les personnes publiques (Etat et collectivités territoriales) à éradiquer ces stéréotypes dans leur communication. Ce document mérite d’être lu, ne serait-ce que pour rire ; si vous n’avez pas le temps, Anna Rosencher, dans Marianne, en a tiré les meilleurs morceaux. On se demande ce qui terrifie le plus dans ce prototype de la prose bureaucratique moderne, caractéristique du despotisme démocratique prévu par Tocqueville, « absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux ». L’esprit de sérieux ? Le souci, précisément, de l’infime détail ? Le plus frappant, en fait, c’est peut-être l’indifférence absolue des auteurs à l’égard de la beauté de la langue. Ils n’ont aucun, mais alors vraiment aucun scrupule à la ravager pour les besoins de la cause. Même, ils le revendiquent. Répondant aux objections contre la féminisation de la langue (pardon, « l’usage du féminin dans la langue »), notamment l’argument « esthétique » selon lequel « “écrivaine”, “pompière”, ce n’est pas beau », ils écrivent : « Le fait de systématiser l’usage du féminin est d’abord une question d’habitude. Ce n’est pas une question d’esthétique, car aucun mot n’est beau ou laid en soi. »
Aucun mot n’est beau ou laid en soi. Vraiment, rien n’est plus étranger à ces gens que l’idée de la poésie. On dira qu’il n’appartient pas aux personnes publiques, destinataires du guide, de se préoccuper d’abord de beauté de la langue ; de là à dire qu’elles doivent s’en désintéresser tout à fait, il y a un pas. Le Haut Conseil le franchit dans ses recommandations. Notamment, à l’écrit, il explique que « le point peut être utilisé alternativement en composant le mot comme suit : racine du mot + suffixe masculin + point + suffixe féminin ». Exemple, page 3 : « Ces représentations auxquelles les citoyen.ne.s sont constamment exposé.e.s renforcent les stéréotypes de sexe » ; ou bien, même page : « Nous remercions les linguistes, les professionnel.le.s de la communication, les fonctionnaires et toutes celles et ceux, dont les membres du HCEfh, qui y ont contribué ». Génial, non ? Le correcteur de mon traitement de texte souligne « citoyen.ne.s », « exposé.e.s » et « professionnel.le.s » ; il faudra rééduquer les gens de Microsoft. Je remarque aussi que les auteurs restent en-deçà de leurs préconisations : il aurait fallu écrire « tou.te.s celles et ceux » et non « toutes celles et ceux ». Pas si simple, la novlangue !
Pour m’entraîner, je me suis livré à un exercice : réécrire en français postmoderne quelques articles de notre Constitution, laquelle, rédigée dans des temps obscurs, est scandaleusement incompatible avec les recommandations qu’on vient de lire. Voici ma copie, que je compte expédier au Haut Conseil pour correction.
Article 5 : « Le ou la Président.e de la République veille au respect de la Constitution. Il ou elle assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État. Il ou elle est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités. »
Article 8 : « Le ou la Président.e de la République nomme le ou la Premier.e ministre [faut-il dire ministre ou ministresse, pour une femme ? J’hésite. Dans le doute, je prends le parti du maximalisme : Premier.e ministre.sse]. Il ou elle met fin à ses fonctions sur la présentation par celui ou celle-ci de la démission du Gouvernement. Sur la proposition du ou de la Premier.e ministre.sse, il ou elle nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions. »
Article 14 : « Le ou la Président.e de la République accrédite les ambassadeurs ou ambassadrices et les envoyé.e.s extraordinaires auprès des puissances étrangères ; les ambassadeurs ou ambassadrices et les envoyé.e.s extraordinaires étranger.e.s sont accrédité.e.s auprès d’elle ou de lui. »
J’attire ici l’attention du correcteur ou de la correctrice sur le fait que j’ai suivi la recommandation n°4, page 17 : « utiliser l’ordre alphabétique lors de l’énumération de termes identiques (ou équivalents) au féminin et au masculin », pour « varier afin de ne pas mettre systématiquement le masculin en premier, par habitude, ou en second, par “galanterie” » ; d’où « d’elle ou de lui » plutôt que « de lui ou d’elle ». Reprenons.
Article 32 : « Le ou la président.e de l’Assemblée nationale est élu.e pour la durée de la législature. Le ou la Président.e du Sénat est élu.e après chaque renouvellement partiel. »
Article 49 : « Le ou la Premier.e ministre.sse, après délibération du conseil des ministre.sse.s, engage devant l’Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique générale. »
Article 54 : « Si le Conseil constitutionnel, saisi par le ou la Président.e de la République, par le ou la Premier.e ministre.sse, par le ou la président.e de l’une ou l’autre assemblée ou par soixante député.e.s ou soixante sénateurs ou sénatrices, a déclaré qu’un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, etc. »
C’est mieux, en effet. Le texte paraît-il plus encombré ? Non. Le Haut Conseil l’assure, « l’usage du féminin clarifie un texte puisqu’il permet de comprendre qu’on y évoque aussi les femmes » (page 8). La féminisation systématique des noms de fonction, elle, permet de ne pas « invisibiliser les femmes » (page 12. Mon correcteur tique à nouveau sur « invisibiliser ». Décidément !). Enfin, le message constitutionnel s’adressant à « tous et toutes », le fait d’y employer le féminin et le masculin permet que « les femmes comme les hommes soient inclus.e.s, se sentent représenté.e.s et s’identifient » (page 15).
Nouvelle faute de novlangue de la part du HCEfh, au passage : il aurait fallu écrire « soient inclus.es » et non « soient inclus.e.s », le masculin d’incluses n’étant pas « incluss ». Comme on voit, c’est difficile. Moi-même, j’ai encore besoin d’entraînement ; je vais donc continuer ma réécriture de la Constitution.
Il faudra trouver, je crois, quelque chose pour remplacer l’article 2, alinéa 1 : « La langue de la République est le français. »
*Photo : Flickr.com.
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