C’est la bourde du jour. Celle que tous les médias aiment relayer. L’info est juteuse, elle fait cliquer les internautes. Comme vous. Alors allons-y, dégainons la scandaleuse, l’outrageuse, la révoltante erreur de Myriam El Khomri, récemment nommée ministre du Travail suite au départ de François Rebsamen le 2 septembre dernier, après près d’un an et demi de bons et loyaux services.
El Khomri est jeune. A 37 ans, c’est même la benjamine du gouvernement. Dès sa nomination, la presse et l’opposition s’interrogent sur son expérience. Diplômée en droit public, elle obtient un stage à la délégation interministérielle à la ville, alors présidé par Claude Bartolone. Une expérience qui lui permettra d’accéder en août 2014 au secrétariat d’Etat à la politique de la ville. En septembre dernier, à la surprise générale, elle est promue Ministre du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social. Là encore, on lui reproche son manque d’expérience. Et ses hésitations de ce jeudi apportent enfin la preuve, pour ses détracteurs, qu’ils avaient raison. La voilà ! La bourde, la gêne. Le gros couac qui tâche :
« Combien de fois peut être renouvelé un CDD ? », interroge un Jean-Jacques Bourdin, piégeur, ce jeudi matin au micro de RMC et BFMTV. « Trois fois, jusqu’à trois ans », commence-t-elle par répondre, l’air mal assurée.
Relancée par le journaliste, elle bafouille : « Non, ce que je veux dire… Un CDI peut être requal… Un CDD peut être requalifié en CD… Un CD… Pardon… Un CDD peut être requalifié en CDI quand, justement, le cadre du recours au CDD n’a pas été… » La ministre s’emmêle les pinceaux.
Bourdin, lui, ne la lâche plus. « Mais dites-moi, coupe le journaliste, il peut être renouvelé combien de fois le CDD ? » « Plusieurs fois » répond-elle. Belle tentative. Mais c’est peu connaître le pitbull Bourdin. « Combien de fois ? » lui demande-t-il une dernière fois.
Elle finit par prononcer elle-même la condamnation à mort de sa potentielle crédibilité future : « Je ne pourrai pas vous le dire. »
C’est dit. La ministre du Travail n’a pas connaissance des effets d’une réforme entreprise par son propre gouvernement… le 23 juillet dernier seulement. Mais où étiez-vous donc Madame El Khomri ? Sur les plages bretonnes ? Sous le soleil exactement ?
Nous avons vérifié ! Car à défaut d’être informée de l’actualité de votre gouvernement, vous communiquez votre agenda. Et Dieu que vous êtes active ! Au moins deux rendez-vous chaque jour à cette période. Le CDD, décidément, vous n’aviez pas la tête à ça.
Le 23 juillet, et le 24 juillet (date à laquelle la presse écrite a relayé le vote de l’Assemblée) Myriam El Khomri n’était pas en vacances. « Jeudi 23 juillet : 11 heures, réunion des ministres à Matignon ». Mais de quoi ont-ils parlé ? « 15 h 30 : Visite des écuries d’été de l’association « Réussir aujourd’hui » et échange avec 35 nouveaux bacheliers – Ecole polytechnique, route de Saclay, 91128 Palaiseau. » C’est précis.
Mais laissons à la ministre 24 heures pour s’informer. « Vendredi 24 juillet : 11h15 Entretien avec Martin MALTE, graphiste, qui présentera son projet de résidences artistiques autour du social design – Hôtel Le Play, 40 rue du bac Paris 7ème ». « 12h : Entretien avec Victorin LUREL, député et président de la région Guadeloupe – Hôtel Le Play ». Overbookée ! Pas une minute pour s’enquérir de la législation sur le CDD. Depuis ? Mystère. Entre juillet et octobre, madame El Kohmri n’a vraisemblablement pas trouvé le temps de potasser son code du travail.
Mais, prise en flag, la ministre n’a pas perdu son sang-froid pour autant. Elle a même tenté une jolie pirouette. Chacun jugera librement de sa sincérité… En fin de matinée, la ministre a déclaré au micro de BFMTV, à la sortie du Conseil des ministres : « J’ai répondu trois parce que, pour moi, c’est trois contrats. Donc voilà, (…) ce n’était pas exact par rapport à la question du renouvellement, mais ça fait trois contrats quand on peut renouveler deux fois. » « La vérité, c’est que pour répondre à cette question, il y a autant de formes de CDD possibles qu’il y a de dérogations possibles, et si, justement, nous menons cette réforme du droit du travail, si nous apportons ces clarifications, c’est bien, en effet, parce que c’est complexe », a-t-elle poursuivi. Et quand c’est flou, il y a un loup, lui répondrait Martine Aubry.
Autant dire que le Conseil des Ministres a dû être le théâtre d’un recadrage en règle. Car François Hollande a fait de la baisse du chômage rien de moins que la condition de sa candidature à la présidentielle 2017. Alors une ministre du Travail en dilettante…
On peut reconnaître à la benjamine du gouvernement une assurance peu commune dans une telle situation : « Jean-Jacques Bourdin avait préparé son coup, il voulait son buzz, il a eu son buzz, je ne suis pas la première, je ne serai pas la dernière », a ajouté la ministre, tout en estimant que ce n’était « pas (son) rôle » d’aller « réciter l’intégralité des articles du Code du travail (dans) l’émission de Jean-Jacques Bourdin ».
Bien vu Myriam, parce que contrairement à nos éminents confrères qui ont passé la journée à se payer sa tête, il nous faut bien avouer ici que pour notre part, nous n’avons pas une connaissance exhaustive des 3689 pages que compte notre monstrueux Code du Travail.
*Photo : © AFP-Archives Joel Saget
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