Le cinéma dans ses marges


Le cinéma dans ses marges

Jacques Richard Le cinéma libertaire et libertin

Si l’on excepte les problèmes de censure que rencontra l’affiche de son film Ave Maria et qui lui apportèrent une relative notoriété, Jacques Richard reste un cinéaste méconnu, auteur d’une œuvre qui mériterait d’être redécouverte, que ce soit par ses fictions singulières – Rebelote, un film muet avec Jean-Pierre Léaud ou le très beau L’orpheline avec en plus un bras en moins d’après Topor – mais aussi par ses documentaires, comme Les fantômes d’Henri Langlois par exemple. Entre avril 2011 et mars 2012, le cinéaste a animé une émission consacrée au cinéma sur les ondes de Radio Libertaire. Ce livre d’entretiens est la transcription de ses conversations à bâtons rompus avec un certain nombre de personnalités marginales du cinéma français.

Même si je ne le fais pas de gaieté de cœur, il convient d’emblée d’évoquer d’abord le plus gros défaut du livre : celui de la transcription, justement. L’ouvrage aurait mérité un sérieux travail de réécriture et, surtout, de relecture. Lorsque les invités ont un débit fluide et une parole structurée, l’entretien se lit bien. Mais lorsqu’ils sont plus hésitants, cela devient compliqué. Je pense en particulier à certains passages de la conversation avec le comédien Jean-Claude Dreyfus qui sont quasiment illisibles (phrases suspendues, répétitions à l’intérieur de la phrase, pas de ponctuation…). A cela, il faut ajouter que le livre est constellé de fautes. Quasiment tous les noms propres sont écorchés, du traditionnel « Scorcese » (au lieu de Scorsese) à Pascale Ferrand (avec un « d » en trop) ou Walt Dysney (à la place de Disney) sans oublier Claude Lévis Strauss (sic). Parfois, le nom est même totalement transformé : le réalisateur de Frankenstein James Whale devient James Wall et le situationniste René Viénet se transforme en René Vianey !

A cela, il faut ajouter les fautes de grammaire, d’accord et d’orthographe qui sont beaucoup trop nombreuses : Christian Metz devient le « Hérault » comme le département de la sémiologie et lorsque Dreyfus confesse être « resté coi » face à Delon, ses mots deviennent « je suis resté coït » !

Je n’insiste pas davantage mais c’est vraiment dommage, car cet aspect risque de faire oublier les grandes qualités d’un ouvrage assez passionnant. D’abord parce que Jacques Richard est un excellent intervieweur : cinéphile curieux, fin connaisseur de l’histoire du cinéma, il est capable de pousser ses invités à évoquer des pans assez méconnus du cinéma français (pour ma part, j’ignorais tout de Maria Koleva, par exemple) et à mettre un peu de lumière sur ses marges les plus stimulantes. D’autre part, cet ouvrage dense (400 pages) permet également de dessiner les contours imprécis d’une nébuleuse où se côtoient des personnalités diverses mais partageant le même goût pour une véritable liberté. Nous croiserons donc la route d’auteurs reconnus mais œuvrant toujours dans les marges du cinéma français comme le tempétueux et toujours aussi drôle Jean-Pierre Mocky, l’immense Paul Vecchiali – qui dit tout le mal qu’il pense d’Il était une fois dans l’ouest – et le mésestimé Joël Séria. Mais des cinéastes révoltés plus confidentiels et expérimentaux (Jean-François Ossang, Jean-Pierre Bastid), des théoriciennes à part (Nicole Brenez, Martine Boyer…), des écrivains cinéphiles (les excellents Jean Streff et Alexandre Mathis qui revient de manière passionnante sur l’histoire des salles de cinéma parisienne) ou des touche-à-tout géniaux comme l’indispensable Jean-Pierre Bouyxou.

Entre anecdotes savoureuses – comme celles racontées par les cinéastes Frédéric Sojcher et Jean-Henri Meunier, évoquant avec beaucoup de verve la générosité de Serge Gainsbourg, qui les a aidés à leurs débuts, et les réflexions plus poussées sur les problèmes actuels du cinéma (la distribution, la conservation, le numérique, la censure…) –, le livre parvient à dresser un panorama palpitant de tout ce qui existe dans la marge : le cinéma expérimental, l’érotisme et la pornographie, la comédie anarchiste, le cinéma politique, militant, etc.

Si on parvient à faire abstraction des défauts pointés plus haut, on pourra mesurer l’intérêt d’un ouvrage qui donne la parole à un courant protéiforme et marginal du cinéma français et cette parole est, bien entendu, fort précieuse…

Le cinéma libertaire et libertin de Jacques Richard. Éditions L’Harmattan. Collection L’écarlate (2015).

Le cinéma libertaire et libertin

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est cinéphile. Il tient le blog Le journal cinéma du docteur Orlof

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